En ce début d’année 2016, Victor Hussenot propose une rêverie urbaine, faite de couleurs et d’impressions, de souvenirs et de poésie. Avec sa nouvelle bande dessinée, Les spectateurs, l’auteur fait parler les silences et anime le béton froid des villes surpeuplées.

 

Alors qu’il a été nommé à deux reprises pour le Prix jeune Talent du Festival d’Angoulême, Victor Hussenot n’en est qu’au début de sa carrière. Il compte à ce jour quatre livres parus ainsi que des illustrations régulièrement publiées dans des revues et collectifs, notamment aux côtés du très bon XXI et du fanzine Gorgonzola. Son travail, déjà riche et varié, témoigne d’une créativité foisonnante et d’une véritable vision d’artiste.

Avec Les Spectateurs, Victor Hussenot nous raconte plusieurs petites histoires aux protagonistes oniriques. Chaque récit introduit le suivant, le personnage passant d’une vie à l’autre en prenant l’apparence du prochain. « Y en a qui ont le cœur si vaste qu’ils sont toujours en voyage », chantait Brel dans Les Cœurs tendres en 1967. Ce sont eux qui intéressent le bédéiste, ces âmes perdues qui errent dans les rues des métropoles. En imaginant leur expérience personnelle de l’existence citadine, il laisse aux lectrices et lecteurs le loisir d’y trouver la leur.

Les Spectateurs, de Victor Hussenot, Gallimard © 2016

Les Spectateurs, de Victor Hussenot, 2016. © Gallimard

Les villes sont ces grandes parcelles de bitume, recouvertes d’immeubles innombrables. Les villes sont ces habitations impersonnelles qui s’alignent à perte de vue, laissant orphelin le regard jusqu’à le rendre aveugle. Les villes sont ces labyrinthes grouillants d’êtres qui trop souvent, se sentent incroyablement seuls. De nombreux écrivains se sont essayés à la poésie urbaine, Baudelaire le premier, comme il le formulait si bien dans Les Foules (Petits poèmes en prose, 1869) :

Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée.

Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun. Pour lui seul, tout est vacant ; et si de certaines places paraissent lui êtres fermées, c’est qu’à ses yeux elles ne valent pas la peine d’être visitées.

Le pont n’est pas si long entre les poèmes de l’initiateur du spleen en France et les dessins à l’aquarelle de Victor Hussenot. Car il y a à l’origine de leur démarche une tentative similaire : celle de comprendre le promeneur ou la promeneuse solitaire, qui arpentent les allées sombres des villes ordinaires. Paris devient protagoniste parmi les créatures qui la peuplent, ces ombres qui enfilent leur costume au quotidien, tel-le-s les comédiens et comédiennes d’une grande pièce de théâtre à l’échelle humaine. Sur le gris du béton, le dessinateur appose la couleur des émotions, entre chaud et froid, entre rouge et bleu. Il peint les choses cachées, il met la lumière et dispose les corps comme un imperturbable metteur en scène.

Les Spectateurs, de Victor Hussenot, Gallimard © 2016

Les Spectateurs, de Victor Hussenot, 2016. © Gallimard

Le temps se fissure entre chaque case, fait se rencontrer des personnages qui finissent inévitablement par se croiser sans jamais se parler. Car la solitude des villes c’est aussi ça : le silence au cœur de la multitude. S’arrêter, penser, imaginer, pour créer de l’humanité dans ces visages que l’on observe, ces gens assis sur un strapontin dans un métro cafardeux. D’une vie à l’autre, le même vide.

La réalité est modelée selon la volonté du pinceau de Victor Hussenot qui joue des déclinaisons de couleurs, utilise la 2D et des plans quasi cinématographiques pour montrer plutôt qu’expliquer. Le texte est rare car superflu, et il ne reste finalement aux lectrices et lecteurs qu’à voir. Les Spectateurs est un livre impressionniste, tant graphiquement que dans son message. Il subsiste une trace sous les paupières de celles et ceux qui s’y aventurent, un éblouissement éphémère comme provoqué par le flash d’un appareil photo. Qui nous revient dès que l’on ferme les yeux.

 

Les Spectateurs Couverture du livre Les Spectateurs
Victor Hussenot
Gallimard
14/01/2016
96
18 €

« Lors de ses déambulations nocturnes, paisiblement, il regarde la ville. Au contact de l'air, sa peau s'éveille, la lumière le fait divaguer et son regard transperce le paysage... le transforme. » Victor Hussenot nous entraîne dans un voyage fascinant, interrogeant avec grâce et poésie le sens de nos existences urbaines.