Selon le Larousse, le quotidien « relève de la vie de tous les jours et n’a donc rien d’exceptionnel ». Dans cette nouvelle rubrique, nous aimerions prouver le contraire, montrer qu’une vie ordinaire peut être admirable. Nous avons décidé de mettre en lumière des parcours singuliers, bien cachés sous des apparences banales. En l’occurrence, une blouse de médecin, celle de Philippe Pavie, anesthésiste-réanimateur au Centre hospitalier de Marne-la-Vallée, qui se distingue par son métier, mais surtout par sa ténacité.

 

« Quand on me dit que j’ai de la chance de faire un métier qui me plaît, je réponds souvent que la chance n’a pas grand chose à voir là-dedans. C’est à force de travail que j’en suis arrivé là. »

– Philippe Pavie

 

Enfant, Philippe Pavie voulait devenir pirate. Marin dans l’âme, il a toujours aimé naviguer pendant les vacances. À 17 ans, jeune bachelier, il se détourne de cette passion juvénile et se forme à l’école normale d’instituteurs de Saint-Étienne. Pour son premier poste, il est nommé à Vivans, un village dans la Loire de moins de 300 habitants qui, selon ses dires, porte bien mal son nom. Il fait la classe à onze élèves répartis sur trois niveaux (CE2, CM1 et CM2) et dirige l’établissement. La vie à la campagne ne lui plaisant guère, il demande sa mutation à Paris et l’obtient. Enseignant dans des écoles maternelles du 9e puis du 19e arrondissement de Paris, il apprécie le contact avec les enfants, mais ne se sent pas assez stimulé par son métier. « Il fallait que je fasse quelque chose avant de devenir un instituteur aigri », se souvient notre ex-futur pirate. Il recommence alors à s’interroger sur son avenir.

Étant donné ses facilités dans le domaine scientifique, et pour ne pas perdre de vue la dimension sociale qu’il chérit, Philippe s’oriente vers des études de médecine à Bobigny, en région parisienne. Seulement, il n’a pas les moyens financiers pour consacrer tout son temps à sa scolarité. La première année, il instruit ses élèves la journée et travaille ses cours de médecine pendant ses heures libres. Il échoue au concours d’admission. Ne pouvant tenter sa chance qu’une seconde fois, il obtient de travailler à mi-temps et réussit finalement l’examen d’entrée. « Cela ne m’empêchait pas de faire la fête avec mes amis. J’avais seulement 23 ans, et l’énergie pour tout faire », précise-t-il.

Avec un salaire réduit de moitié, Philippe se retrouve dans l’incapacité de payer son loyer. Sa demande de logement social demeure sans suite, alors que de nombreux appartements sont pourtant inhabités. Plus déterminé que jamais, il écrit une lettre au maire de Paris, un certain Jacques Chirac, lui exposant sa situation et apportant la preuve que des logements demeurent inoccupés. Le futur président de la République se penche personnellement sur son cas, et quelques semaines plus tard, un habitat à loyer modéré lui est attribué.

Au cours de sa troisième année de médecine, Philippe troque son mi-temps d’instituteur pour devenir veilleur de nuit dans un hôtel et, ainsi, pouvoir suivre ses études pendant la journée. Deux ans plus tard, il est formé à un autre travail nocturne, à l’hôpital Tenon, à Paris, celui de garde au laboratoire d’hématologie cellulaire et d’hémostase. En septième année, il est enfin rémunéré à plein temps en qualité d’interne et peut se consacrer exclusivement à sa scolarité.

« J’ai compris assez vite, lors d’un stage, que je voulais devenir anesthésiste-réanimateur. C’est un domaine dans lequel il y a beaucoup de physiologie appliquée, en plus du contact avec les patients », raconte-t-il. Seulement, chaque année, peu d’internes accèdent par concours à cette spécialité. À deux reprises, Philippe échoue. Il poursuit alors la médecine générale, prépare et soutient sa thèse, puis se rend en Belgique pour repasser l’examen. Cette fois, il est reçu et passe la frontière pour cinq ans de formation intensive. À son retour en France, en octobre 1997, son directeur de thèse le contacte : « On t’attend, on a une place d’anesthésiste pour toi. »

Dix-neuf ans plus tard, Philippe Pavie exerce toujours au Centre hospitalier de Marne-la-Vallée. « Il n’était pas question pour moi de travailler seul dans un cabinet, ni dans une structure autre que publique, explique-t-il. J’aime le travail en équipe et l’idée que les soins puissent être accessibles à tout le monde. » Son métier exige beaucoup d’empathie, mais aussi de relativiser en permanence : « Je reçois des dizaines de patients chaque jour, et à chaque fois que je rencontre l’un d’entre eux, je dois oublier celui d’avant pour pouvoir être totalement attentif. C’est un métier très intense ! En réanimation notamment, mon travail consiste aussi à accompagner les familles des malades, à leur expliquer avec douceur et pédagogie ce qui a été mis en place en fonction de la gravité de la situation. Les annonces de décès, c’est toujours un moment très fort à vivre. C’est d’autant plus compliqué lorsqu’il y a des complications inattendues, car on ne peut pas s’empêcher de se poser des questions sur ce qu’on a fait, ou pas. Mais plus que la mort, c’est la vie et la survie que je contemple au quotidien. »