Si tu le croises dans les rues de Paris, tu seras probablement attiré-e par son aura énigmatique. Le regard à la fois très présent et lointain, la démarche chaloupée, Benjamin Sarp semble danser sur la vie avec un grand sens du rythme. Rencontre avec un musicien libre et heureux de vivre. 

 

« Un musicien est toujours mis à nu, seul face au jugement des autres. »

– Benjamin Sarp

 

Benjamin Sarp, 27 ans, est musicien. Lorsqu’il n’est pas en tournée avec l’orchestre du cirque Bouglione, il accompagne des chanteurs lyriques au piano, se produit avec un trio de jazz ou en tant qu’organiste. L’artiste a toujours connu la musique : « Je n’ai pas vraiment eu le choix. C’est ma mère, elle-même professeure de piano, qui m’a imposé la pratique d’un instrument à 2 ans. » À peine commence-t-il à parler que Benjamin se retrouve un violon entre les mains. Tous les petits airs que sa mère lui apprend, il les reproduit ensuite sur le piano, objet principal de sa passion future. Face à son engouement, cette dernière l’inscrit à l’âge de 3 ans à des cours de piano, en plus de ceux du violon.

Adolescent, Benjamin passe avec succès les épreuves d’admission en classe à horaires aménagés Musique/Danse du collège Claude Debussy, à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines. Le matin, il suit un cursus accéléré et l’après-midi, il se rend au conservatoire de la ville pour des cours de violon, de solfège et de musique de chambre. Sans oublier de pratiquer son piano.

En seconde, l’apprenti musicien intègre la classe à horaires aménagés du lycée Racine, à Paris. « Je me suis pris une énorme claque dans la figure, raconte-t-il. Tous les élèves venaient du conservatoire de Paris, étaient issus d’un milieu intellectuel parisien, allaient à des concerts tous les soirs… Moi, j’arrivais favori de mon petit conservatoire de banlieue. Je me suis dit que pour me démarquer, il fallait que j’expérimente une autre voie que le classique. C’est comme ça que j’ai commencé les cours de jazz. »

En terminale, sachant que la musique lui est indispensable, Benjamin décide d’en faire son métier. À la fin de son cursus, il abandonne le violon pour se consacrer uniquement à la pratique du piano et de l’orgue. Conscient qu’il lui faut fournir un effort régulier et conséquent, il travaille seul le piano durant six à dix heures par jour. Il se rend quotidiennement au conservatoire Hector Berlioz, dans le 10e arrondissement de Paris, puis à celui d’Aubervilliers-La Courneuve, pour s’entraîner, mais également pour préparer des concours. En 2006, il intègre le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris grâce à un premier prix en orgue, un autre au piano, et un troisième en accompagnement.

Sa réussite, le jeune homme la doit notamment à ses professeur-e-s : « J’ai eu une chance incroyable car je suis toujours tombé sur de fortes personnalités très différentes, mais partageant une même vision de la vie et de la musique. » La rigueur dans l’enseignement musical est selon lui indispensable, mais doit être compensée par d’autres aspects : « Il faut un peu de tout pour avancer dans ce monde. C’est un milieu extrêmement brutal dans le rapport professionnel. Bien entendu, trop de rigidité finit par décourager même les gens les plus motivés, d’où l’importance d’être entouré-e de différentes manières. »

De tous les instruments qu’il pratique, le piano est incontestablement celui dont Benjamin est le plus proche. Il nécessite une grande technique, mais expose en permanence la sensibilité et la singularité de quiconque effleure ses touches : « Le piano réagit à tout et fait ressortir toutes nos tensions. Les touches fonctionnent comme des marteaux ; en fonction de la pression qu’on leur applique, le rendu n’est jamais le même. »

Benjamin a le courage de se battre chaque jour pour vivre de ce qui l’anime : « Le métier de musicien me correspond parfaitement. S’il est extrêmement exigeant, il permet malgré tout de garder une grande liberté car je n’ai de comptes à rendre à personne d’autre que moi-même. Si je ne veux pas travailler un jour, j’en ai la possibilité, tant que je garde à l’esprit que c’est un métier qui impose une immense discipline et qu’il me faudra redoubler d’efforts le lendemain ! » Certaines fins de mois sont difficiles. Ses choix le contraignent à vivre sans filet, parfois même le marginalisent. Alfred de Musset disait : « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. » Celle-ci, le musicien l’a trouvée dans ce parcours libre et créatif, qu’il ne quitterait pour rien au monde.

À ceux qui souhaiteraient percer dans la musique, il ne donne qu’un conseil : « Faites ce que vous aimez. Tout le monde vous dira de vous spécialiser, pourtant je pense qu’il faut aller au gré de ce que l’on aime et, surtout, ne jamais s’enfermer dans quelque chose. C’est un métier difficile. Pour bien l’exercer, il faut être en phase avec soi-même et les autres. On a souvent l’image de l’artiste torturé-e, dont les pulsions sont aussi destructrices que créatives. On peut avoir des névroses, mais on n’a pas d’autre choix dans ce métier que de s’assumer. Lorsqu’en concert, un-e artiste fait une improvisation, il ou elle nous livre un profond message sur lui-même ou elle-même. Dans ces moments-là, il ou elle ne peut que s’accepter pour faire passer aux autres son message. »