Récit de notre rencontre avec Caroline Hofman, une artiste installée dans le nord de la France qui s’active pour donner aux gens l’envie de se reconnecter avec eux-mêmes. En prônant la bienveillance, l’amour et la créativité, la jeune femme met dans son art une grande part de qui elle est, sans concessions.

 

« La valeur que l’on donne à l’art dans nos vies est minime. Il semble réservé à une élite. Il faut que les gens se le réapproprient, et leur rappeler les multiples manifestations de la créativité. »

 

Caroline m’attend dans la Galerie du Montparnasse, dans le 14e arrondissement de Paris. Elle est en train de déjeuner, entourée de ses propres œuvres s’étalant magistralement sur tout un pan de mur. En contemplant son travail, il me semble déjà percevoir un peu de qui elle est, un morceau de sa personne qu’elle me donne le droit d’admirer. En participant à ce projet, l’artiste voulait me parler de partage, de bienveillance aussi. Il y a une certaine humilité chez elle et une volonté incroyable. « Les échanges humains se sont un peu perdus dans toute la multiplicité du Web, de la surcommunication », déplore-t-elle. Dans son quotidien, Caroline veut sortir des impératifs qui sont dictés par la société, s’extirper de la catégorisation des gens par leur activité professionnelle, qui devient un critère de valorisation : « La première question que tu entends quand tu rencontres quelqu’un-e est : “Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? On te demande ton statut social en somme, et non pas qui tu es. »

Caroline est en revanche spécialement attachée à la notion de beauté. Pour elle, cette dernière est omniprésente : « Dès l’âge de 9 ans, je savais ce que je voulais faire. À l’école, je passais mon temps à gribouiller, à être dans mon monde, et j’avais besoin de le partager. » La créatrice retrouve la beauté dans la nature, une sorte de muse entre l’invisible et le matériel. Comme sa peinture, parfois abstraite, parfois figurative. Il faut ainsi observer chaque chose, chaque sentiment. Quand Caroline me parle de la beauté avec tant d’emphase, je pense immédiatement aux romantiques du XIXe siècle et à leur intérêt singulier pour la contemplation. À leur rapport à la nature comme source de sublime, qui nous ramènerait à notre condition humaine.

Selon ses propres termes, Caroline est une fille du Nord. Née à Lille, elle a grandi dans des petites villes alentour : « Mes parents sont issus du milieu ouvrier. Je suis une plasticienne qui vit de ce qu’elle fait, mais je ne viens absolument pas d’une famille d’artistes. En cela, je suis un peu une ovni. » C’est au collège, lors de ses cours d’arts plastiques, qu’elle sent le décalage : elle semble être la seule à valoriser un tel enseignement, ses camarades préférant chahuter et discuter. Bien évidemment, lorsqu’elle rencontre le conseiller d’orientation, ce dernier l’intime de choisir ses matières, au lycée, de façon à « avoir un vrai métier ». Pourtant, c’est bel et bien à cette période que les choses commencent, notamment grâce à son professeur d’arts plastiques qui lui donne envie de persévérer. Et elle finit par intégrer l’École supérieure des arts appliqués et du textile à Roubaix. Malgré quelques échecs, Caroline ne baisse pas les bras et effectue un cursus en stylisme, au cours duquel elle tombe en amour avec les tissus, qu’elle côtoie aussi lors de ses années aux Beaux-Arts.

La jeune femme expose depuis plus de dix ans. Et son expérience s’est finalement peu à peu transformée. Elle désire aujourd’hui inciter les gens à se reconnecter avec leur intériorité : « L’être humain est par essence un être créatif. Mais les éléments extérieurs peuvent le soustraire à cela. La créativité, c’est traduire qui tu es, hors de ce qui est consommable. C’est une forme d’intériorité. Et cela ne passe pas seulement par les arts. Il y a autant de créativité que de personnes. » En fin de compte, Caroline met en parallèle l’individualisme et l’individuation, soit ce qui nous coupe les un-e-s des autres et ce qui nous lie parce que nous sommes tou-te-s singuliers-ères. Mais la jeune femme de 32 ans est également totalement consciente de la réalité de la société capitaliste dans laquelle nous vivons, et que celle-ci détermine notre espace d’expression.

À ses yeux, il est nécessaire de sortir d’un rapport qui nous paraît évident vis-à-vis de la consommation. Au quotidien, il s’agirait de s’extirper d’un schéma préétabli, au prix de sacrifices et en faisant certains choix. La peintre intervient notamment dans des centres sociaux, dans le cadre d’ateliers qu’elle anime. C’est par cette confrontation qu’elle est arrivée peu à peu à appréhender des blocages chez les autres, grâce notamment au dessin intuitif ou à des concerts sensitifs avec une sonothérapeute. En 2014, elle a créé le projet Peinture intérieure, pour lequel elle a réalisé des peintures intuitives destinées aux êtres et aux lieux. Et en septembre 2018, avec l’association Les Éveillés, elle participera à des « happy parcours », s’invitant dans la rue pour interpeller et aider les gens. Toutes ces démarches visent à l’élaboration d’une bulle de bien-être, afin que les personnes trouvent peu à peu un équilibre en elles-mêmes.

« Pour l’instant, on est obligé-e-s de payer des factures, des impôts, un loyer. Alors, la solution est ailleurs, comme avec les donneries, la seconde main, les coopératives alimentaires, les comités de commerçant-e-s, les économies alternatives, les échanges de services… Pas à pas, il faut changer son fonctionnement de pensée et d’action. » La créatrice multiplie ainsi les moyens d’expression, de la poésie à la peinture, en passant par la sculpture et le happening. Elle trouve son inspiration dans les surréalistes qu’elle apprécie particulièrement, mais aussi dans son environnement. Le monde de l’art est fermé, et les personnes comme Caroline ont une visibilité limitée, sans compter le sexisme et le racisme qui sont omniprésents dans ce milieu : « C’est aussi pour cela que je me suis éloignée de l’art contemporain et que je me suis rapprochée des thérapeutes », m’a-t-elle confié.

Par le biais de l’art et de la bienveillance, Caroline souhaite ainsi extraire les gens de la frénésie capitaliste qui les plonge dans une détresse émotionnelle. Pour elle, l’amour est en soi un sentiment politique, directement rattaché au pouvoir incroyable de la transmission. Il s’agit alors de ne pas se faire engloutir par le système, et de résister à son échelle.

En tant que femme, Caroline se bat chaque jour pour effacer les préjugés et faire avancer les choses : « J’ai parfois peur d’être la femme que je suis, car une femme qui s’exprime impressionne. Une femme qui se sent libre de s’habiller comme elle veut est jugée en permanence. Aujourd’hui, il est difficile de pouvoir être une femme et une personne en même temps. Les injonctions à ne pas faire font partie de notre quotidien et, assurément, il y a une part de colère en moi. Mais aussi l’espoir réel de meilleurs lendemains. »

 


Tu peux suivre le travail de Carole Hofman sur sa page Facebook.


Image de une : portrait de Caroline pour Deuxième Page, 2018. © Annabelle Gasquez