Parce que 10 réalisatrices ce n’était pas suffisant, nous avions envie de te faire découvrir d’autres femmes qui ont marqué le cinéma par leur regard, leur technique, leur discours et leur talent. Du coup, on t’a sélectionné quelques noms pour briller en société, mais surtout pour réfléchir et passer du bon temps. Voici donc dix autres réalisatrices à découvrir sans attendre b!


 

Chantal Akerman
Ava DuVernay
Mira Nair
Greta Gerwig
Agnès Varda
Sara Gómez
Desiree Akhavan
Alice Guy
Jane Campion
Lois Weber

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Chantal Akerman

© Laszlo Ruszka/Ina/AFP

Chantal Akerman (1950-2015) est une cinéaste belge incontournable du cinéma moderne. Sa production plurielle s’étend du biopic au documentaire, en passant par la fiction et l’essai. Durant sa carrière, elle pratique les arts plastiques et l’écriture. Elle participe aussi à de nombreuses installations artistiques et travaille elle-même sur la plupart de ses décors. Formée au sein de l’Anthology Film Archives de New York, elle découvre à l’âge de 21 ans le cinéma expérimental et s’essaie à différents styles et techniques. D’origine juive polonaise, fille d’une rescapée de la Shoah, l’identité de Chantal Akerman est éclatée ; les questionnements liés à son passé et aux traumas de sa mère font partie intégrante de sa filmographie. Parmi ses longs-métrages, on retient notamment News from Home (1977) et No Home Movie (2015) qui s’attardent sur sa mère : elle interroge son silence quant à l’Holocauste, ses souffrances, et entretient sa mémoire. La cinéaste se réclame d’une grande liberté de création. Elle fait fi des codes, s’oppose au règne de l’esthétisme et se sert de ses films pour parler d’elle, comme avec Je, tu, il, elle (1974), son premier long-métrage de fiction. Elle y explore aussi l’homosexualité, le désir et le plaisir, ainsi que le doute. De son premier film au dernier, Chantal Akerman fait le lien entre l’histoire intime et l’histoire collective et, plus que jamais, inscrit son œuvre dans un questionnement de la temporalité.

 

Ava DuVernay

© Prakash Shroff

Ava DuVernay commence une carrière de journaliste en couvrant l’affaire O. J. Simpson dans les années 1990. Lassée par ce métier, elle devient publiciste pour des sociétés de production comme la 20th Century Fox et oriente doucement sa carrière vers les relations publiques. Elle finit par monter sa propre société, The DuVernay Agency. En 2005, avec 6 000 dollars, elle tourne son premier court-métrage, Saturday Night Life, lequel la place dans le circuit des festivals. DuVernay choisit la voie du documentaire pour apprendre en autodidacte la réalisation – et aussi pour une autre raison concrète : la production de documentaires est moins onéreuse. Elle revient à la fiction au début des années 2010 avec I Will Follow, mais fait surtout parler d’elle en 2014 à la sortie de son film Selma, qui retrace la marche pacifique pour le droit de vote des Afro-Américain-e-s, menée par Martin Luther King Jr. en 1965. Le succès du long-métrage et ses diverses nominations à des récompenses cinématographiques l’imposent comme l’une des réalisatrices essentielles du septième art. Désormais, Ava DuVernay continue son travail d’investigation, comme avec son documentaire 13th (2016), lequel s’intéresse à l’injustice raciale dans le système d’incarcération de masse aux États-Unis, ou encore avec la minisérie When they see us (2019). En 2018, elle devient l’un des noms incontournables de Hollywood avec la sortie d’Un raccourci dans le temps, produit par Disney. Elle est alors la deuxième femme à réaliser un film doté d’un budget supérieur à 100 millions de dollars (après Patty Jenkins pour Wonder Woman).

 

Mira Nair

© Sophia Spring

La réalisatrice Mira Nair est surtout connue pour Salaam Bombay! (1988). Désormais élevé au rang de classique, ce long-métrage montre la vie d’enfants laissé-e-s à l’abandon dans la ville indienne. Nommé pour un Oscar et maintes fois récompensé, le film remporte notamment la Caméra d’or à Cannes, faisant de Nair la première Indienne à recevoir le prix. Diplômée en sociologie, la cinéaste propose des œuvres imprégnées d’un puissant réalisme. On y retrouve son observation sans compromis des dynamiques relationnelles et des enjeux humains. Elle s’intéresse à celles et ceux à la marge. Avant de réaliser des fictions, elle fait ses armes dans le genre documentaire, où elle explore déjà l’Inde et ses traditions. Son film de fin d’études à Harvard, Jama Masjid Street Journal (1979), s’aventure par exemple à Old Delhi, où elle va à la rencontre des habitant-e-s. Toute sa filmographie est traversée par cette vision, de Mississippi Masala (1991) à Monsoon Wedding (2001) en passant par Queen of Katwe (2016). Mira Nair porte ses idéaux haut et fort, et c’est à travers différents projets très concrets qu’elle milite. Avec les bénéfices de Salaam Bombay!, elle finance notamment le Salaam Baalak Trust, qui aide les enfants des rues en Inde. En 2005, elle lance le Maisha Film Lab, une structure à but non lucratif située en Ouganda, qui forme les jeunes cinéastes d’Afrique de l’Est. Elle participe aussi activement au soutien de la création cinématographique avec sa boîte de production Mirabai Films. « Je suis résolument convaincue que si nous ne racontons pas nos propres histoires, personne ne le fera pour nous », expliquait Mira Nair en 2016.

 

Greta Gerwig

© Rex Features

Née en 1983 à Sacramento, en Californie, Greta Gerwig étudie au Barnard College et obtient un diplôme en anglais et en philosophie. Elle veut devenir dramaturge, mais se tourne finalement vers une carrière de comédienne après avoir été refusée par plusieurs programmes des Beaux-Arts. Elle n’est encore qu’étudiante lorsqu’elle devient actrice. Le grand public la découvre dans Frances Ha (2013), dont elle coécrit le scénario et dans lequel elle tient le rôle-titre : celui de Frances, une danseuse lunaire et paumée, ballottée par la transition vers l’âge adulte. Le film solidifie le statut de Gerwig en tant que figure du cinéma indépendant américain et lui permet d’être nommée pour la première fois aux Golden Globes dans la catégorie Meilleure Actrice en 2014. Mais c’est l’année 2018 qui marque l’envol de sa carrière avec la réalisation de son premier long-métrage, Lady BirdCe véritable récit d’apprentissage narre les aventures tumultueuses d’une adolescente et de sa relation compliquée avec sa mère. L’intrigue se déroule au début du nouveau millénaire, et Gerwig n’hésite pas à s’inspirer de sa propre vie pour poser les bases fondatrices de son récit. Encensé par la critique et le public, Lady Bird est nommé cinq fois aux Oscars, permettant à la cinéaste de devenir la cinquième femme de l’histoire nommée dans la catégorie Meilleur-e Réalisateur-rice. Grâce à ce succès, elle prépare actuellement un nouveau long-métrage, une adaptation des Quatre Filles du docteur March de la romancière Louisa May Alcott. La rencontre de ces deux univers s’annonce prometteuse.

 

Agnès Varda

© Sarah Lee/Guardian/Eyevine/Redux

Parmi les grands noms du cinéma, celui d’Agnès Varda (1928-2019) resplendit. Cinéaste de génie, pionnière de la Nouvelle Vague, on retient d’elle un regard acéré sur des thématiques aussi complexes que le couple, la maladie ou encore la condition des femmes et les inégalités sociales. Si son premier court-métrage, La Pointe courte (1955), ne rencontre pas le succès attendu au moment de sa sortie, il est pourtant précurseur de sa filmographie et de la Nouvelle Vague elle-même. C’est Cléo de 5 à 7 (1962) dont on se souvient le mieux, qu’on a le plus vu. Le film suit en temps réel deux heures de la vie de l’héroïne, qui attend ses résultats d’analyses médicales et apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Du rythme aux images, tout dans le film appelle au chef-d’œuvre ; il est d’ailleurs récompensé du Prix Méliès (1962), du prix FIPRESCI (1963) et est nommé au Festival de Cannes pour la Palme d’Or l’année de sa sortie. Les réalisations de Varda flirtent autant avec le documentaire que la fiction et attestent de son engagement politique, comme avec Sans toit ni loi (1985) dans lequel Mona, une jeune femme sans-abri, est retrouvée morte un matin d’hiver. Le regard d’Agnès Varda y est mordant, comme dans bien d’autres de ses films. On retient enfin la comédie musicale L’une chante, l’autre pas (1977), laquelle aborde l’émancipation des femmes et l’avortement, illégal en 1962 – date du récit – ou encore Les glaneurs et la glaneuse (2000), critique de la surconsommation et du gaspillage. L’œuvre d’Agnès Varda abolit les frontières entre les genres, et elle nous manque, incontestablement.

 

Sara Gómez

© DR

La réalisatrice cubaine Sara Gómez (1942-1974) a laissé derrière elle une œuvre plurielle, engagée et nécessaire. Dès son plus jeune âge, elle étudie la musique, l’ethnographie afro-cubaine, la littérature, puis le cinéma. À La Havane, elle croise la route d’Agnès Varda, pour qui elle prend le rôle d’assistante de réalisation sur Salut les Cubains (1963). Aussi modeste soit-elle, la production de Gómez est éminemment politique, s’intéressant de près aux personnes marginalisées de la société cubaine dans la série de documentaires qu’elle a réalisée. Au cœur de son art, elle porte fièrement son combat pour les Afro-Cubain-e-s et leur culture, mettant en lumière les rapports de classe, de genre et de race. Et sa voix dérange. Son documentaire Mi aporte (1969), d’une trentaine de minutes, est rapidement interdit par les autorités du pays. En 1974, sa carrière de cinéaste est subitement interrompue. Elle meurt avant d’avoir pu terminer son premier et dernier long-métrage, De cierta manera, dont le montage sera achevé par Juan Varona, Tomas Gutierrez Aléa et Julio Garcia Espinoza. Il sort finalement dans les salles cubaines en 1977. Entre fiction et documentaire, le scénario conte une histoire d’amour se déroulant dans les quartiers pauvres de La Havane, sur fond de révolution. Ici, on retrouve plus que jamais le commentaire social radical si caractéristique de la filmographie de la réalisatrice, sa perspective critique. Mais en France, le travail de Sara Gómez est encore difficilement accessible, et c’est incroyablement regrettable (du coup, YouTube est ton ami).

 

Desiree Akhavan

© Abbie Trayler-Smith

Actrice, réalisatrice et scénariste irano-américaine, Desiree Akhavan traite dans ses films et séries les sujets généralement peu – ou mal – abordés que sont le lesbianisme et la bisexualité. À la sortie de son premier long-métrage, Appropriate Behavior (2014), qui raconte l’histoire d’une jeune fille persane n’osant pas avouer sa bisexualité à ses proches, la réalisatrice est présentée dans la presse comme bisexuelle. Ce terme l’embarrasse et sonne comme péjoratif à ses oreilles, ce qui la pousse à s’interroger sur les raisons qui la font se sentir honteuse. C’est ainsi qu’elle commence à réfléchir à sa série The Bisexual (2018). Avec un tel titre, la bisexualité n’est plus invisibilisée et Desiree Akhavan choisit de présenter le point de vue d’une femme lesbienne qui réalise qu’elle est en fait bi. La même année sort son film Come as you are, lequel fait le récit d’une jeune lesbienne envoyée en camp de conversion. Dans ses œuvres, en plus d’aborder la question de l’identité sexuelle, de son acceptation par soi-même ou par la société, la cinéaste met en avant le désir et le plaisir féminin dans des scènes explicites. Elle exploite le female gaze. Chez Akhavan, rien n’est dit à demi-mot ou simplement suggéré ; tout est nommé, montré, de sorte qu’il n’y ait pas de libre interprétation possible. Ses œuvres bouleversent le monde du septième art, et on en redemande.

 

Alice Guy

© Apeda Studio New York/Collection Solax

Alice Guy (1873-1968), réalisatrice, scénariste et productrice française, est encore au XXIe siècle incroyablement méconnue. Et pourtant, à 23 ans, elle devient la première réalisatrice de l’histoire du septième art. Tout commence en 1894, lorsqu’elle est embauchée comme secrétaire au Comptoir général de la Photographie pour l’industriel français Léon Gaumont. Quelques années plus tard, sur son temps personnel, elle tourne pour lui La Fée aux choux, un clip humoristique de 51 secondes, le premier film de fiction jamais réalisé. Face au succès de ce dernier, Gaumont lui confie la direction du département des vues animées de fiction de sa compagnie. Alice Guy est sur tous les fronts : casting, mise en scène, réalisation, décors, costumes… Elle sait tout faire. En 1910, alors qu’elle est désormais installée aux États-Unis, elle est la première femme à créer une société de production, la Solax. C’est un incroyable succès – avant même l’existence de Hollywood – jusqu’à ce que son mari en provoque la faillite. Ruinée et divorcée, la cinéaste rentre en France en 1922. Et son milieu professionnel, lui, l’oublie progressivement. Au total, Alice Guy est créditée à la réalisation et à la production de plusieurs centaines de films – environ 700, selon les spécialistes, voire bien plus –, dont certains étaient marqués par ses engagements personnels. C’est grâce à la ténacité de féministes qu’Alice Guy est désormais régulièrement citée : l’association Musidora a notamment permis la publication de son autobiographie huit ans après sa mort et, en 2018, la journaliste Véronique Le Bris a lancé le Prix Alice Guy.

 

Jane Campion

© DR

Cinéaste néo-zélandaise, Jane Campion est la deuxième femme de l’histoire nommée pour l’Oscar dans la catégorie Meilleur-e Réalisateur-rice. Elle est aussi la seule à avoir remporté la Palme d’or à Cannes pour le film La Leçon de Piano (1993). La carrière de Campion s’est construite avec un cinéma mettant les femmes au centre du récit, leur permettant de s’interroger sur la condition féminine, leurs désirs, leurs corps et leur aliénation. Campion analyse les rapports de la domination des genres et le pouvoir de la sexualité et du désir féminins. Son personnage le plus célèbre, Ada McGrath (Holly Hunter), une femme du XIXe siècle passionnée de piano, englobe à lui seul les questionnements qui hantent la réalisatrice. Cette femme muette, mère célibataire vendue par son père à un colon néo-zélandais, incarne dans sa chair à la fois la domination masculine, mais aussi la liberté des femmes à disposer de leur corps. Jane Campion ne se détache à aucun moment de ses héroïnes, explorant leurs passions, leurs turpitudes et leurs désirs avec vérité et violence, ne les reléguant jamais à des figures de porcelaine corsetées – et en particulier dans ses films d’époque, comme Bright Star (2010). Elle s’est récemment mise à la réalisation de séries, avec succès. Ses shows Top of the Lake (2013) et Top of the Lake: China Girl (2017) sont devenus des incontournables. Toujours portée par les mêmes thématiques, la réalisatrice continue de briller par son talent.

 

Lois Weber

© Bettmann Archive/Getty Images

Le cinéma américain doit beaucoup à Lois Weber (1879-1939), scénariste, réalisatrice et productrice. Elle est la seule femme nommée à la Motion Picture Directors Association, la première femme à réaliser un court-métrage (Le Marchand de Venise, 1914) et la réalisatrice américaine la mieux payée en 1916, tous genres confondus. Elle travaille d’abord en collaboration avec son mari, Phillips Smalley. Il et elle intègrent ensemble le studio d’Universal, que Weber quitte finalement assez rapidement. En 1917, elle crée sa propre société, la Lois Weber Productions. Son œuvre est marquée par les luttes sociales de son époque : la peine de mort (The People vs. John Doe, 1916), les droits des femmes (Where are my children, 1916), mais aussi la misère avec Shoes (1916), dans lequel elle met en scène Eva, une jeune vendeuse ayant ses parents à charge. Trop faiblement rémunérée, elle n’a pas les moyens de s’offrir une paire neuve de souliers, alors que les siens sont troués. Elle décide donc de se prostituer. Lois Weber se démarque de la création de son époque en centrant son regard non pas sur Eva, mais sur la misère et ses causes. Révolutionnaire dans ses idées, elle l’était aussi dans sa technique : elle est la première à avoir scindé l’écran afin de montrer plusieurs pans simultanés du récit (Suspense, 1913). Si l’on ne devait rendre à Lois Weber qu’un seul honneur, ce serait bel et bien de visionner ses films et de lutter contre l’oubli dans lequel elle a sombré après son divorce en 1922, subissant de plein fouet une histoire du cinéma avec un seul et même scénariste  : le patriarcat.

Les portraits ont été rédigés collectivement par
CielleRaphaëla IcguaneLisa Durand et Annabelle Gasquez.