Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • Black Brazilians are ditching hair straighteners and white standards of beauty : au Brésil, les femmes noires assument de plus en plus de porter leurs cheveux au naturel. L’afro est ainsi devenu un acte de résistance politique. [The Washington Post] [ENG]
  • Lots of People Love ‘To Kill a Mockingbird.’ Roxane Gay Isn’t One of Them. : pour Roxane Gay, la pertinence de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur en 2018 est loin d’être évidente. Dans sa chronique du livre Why To Kill a Mockingbird Matters, elle analyse les raisons pour lesquelles l’ouvrage de Harper Lee et son adaptation au cinéma ne résonnent que chez celles et ceux qui ne comprendraient pas « les maux du racisme, et qui ont apparemment besoin de [ces œuvres] pour leur montrer la lumière ». [The New York Times] [ENG]
  • Migrants : la liste du Guardian : dans son supplément papier, The Guardian a publié le 20 juin « une liste de 56 pages, recensant les morts de 34 361 exilé-e-s ». [Arrêt sur images]
  • Spiritual Tourism is Harming the Amazonian Practice of Ayahuasca : Bani Amor explore les conséquences du « tourisme spirituel » et de la récupération capitaliste des traditions de communautés historiquement pillées et dépossédées de leur culture par les peuples blancs occidentaux : « Je me demande comment la blanchité [whiteness, ndlr] peut se guérir de la violence à partir de laquelle elle a été forgée, et s’il est même possible d’empêcher cette violence de se répandre partout où les personnes blanches vont. Parce que dans le sillage de toute mode new age exploitée et maltraitée se trouve une espèce végétale menacée, un chaman imité, une communauté autochtone exploitée et l’économie non réglementée d’une arnaque spirituelle qui transforme le sacré en obscénité. » [Bitch Media] [ENG]
  • Roxane Gay: What Does It Mean To Identify As A Feminist? : en mai 2015, l’autrice Roxane Gay nous rappelait ce qu’être féministe signifie au quotidien, et en quoi il est impossible pour les femmes d’incarner ces féministes parfaites et irréprochables que l’on idéalise bien trop souvent. Mais elle rappelait aussi comment seules des actions en adéquation avec nos idéaux mènent au changement. Ci-dessous, la retranscription et traduction de son TED Talk. [NPR] [ENG]

J’échoue en tant que femme, j’échoue en tant que féministe. J’ai de ferventes opinions concernant l’égalité des sexes, mais je crains qu’accepter librement l’étiquette de « féministe » serait injuste envers les bonnes féministes. Je suis féministe, mais plutôt mauvaise. Donc je me surnomme « mauvaise féministe ». Au moins, j’ai écrit un article, puis un livre intitulé Mauvaise féministe, puis lors d’entretiens, les gens m’appelaient « la mauvaise féministe ». Ce qui n’était au début qu’une blague avec moi-même et une provocation préméditée est devenu quelque chose de réel.

Prenons un peu de recul. Quand j’étais plus jeune, durant mon adolescence et ma vingtaine, j’avais des idées étranges sur les féministes. Je les imaginais comme des femmes poilues, en colère, anti-hommes, anti-sexe – comme si c’était mal ! Aujourd’hui, je vois comment les femmes sont traitées dans le monde, et la colère, en particulier, semble une réponse parfaitement raisonnable. Mais à l’époque, je me souciais du ton des gens lorsqu’ils suggéraient que j’étais peut-être une féministe. L’étiquette de féministe était une accusation, c’était un mot en « F », à mauvaise connotation. J’étais cataloguée comme femme qui ne suit pas les règles, qui espère un peu trop, qui se surestime, car j’osais croire que j’étais égale – (tousse) – supérieure à un homme. On ne veut pas être cette femme rebelle, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on est tellement cette femme, et qu’on ne peut imaginer être quelqu’un d’autre. En avançant en âge, j’ai commencé à accepter que je suis, en effet, une féministe, et fière de l’être. Je considère certains faits comme évidents : les femmes sont égales aux hommes. Nous méritons le même salaire pour le même travail. Nous devons pouvoir nous déplacer dans le monde à notre guise, sans avoir à subir harcèlement ou violence. Nous avons droit à un accès facile et abordable aux moyens contraceptifs et aux services de santé sexuelle. Nous avons le droit de faire des choix pour notre corps, libres de la surveillance législative et des doctrines évangéliques. Nous avons le droit au respect. Plus encore. Quand on parle des besoins des femmes, nous devons considérer les autres identités. Nous ne sommes pas que des femmes. Nous sommes des êtres avec des corps, des expressions sexuelles des religions, des sexualités, des milieux d’origine et des compétences différentes, et plus encore. Nous devons considérer ces différences et comment elles nous affectent, autant que nous considérons nos points communs. Sans ces inclusions sociales, notre féminisme n’est rien. J’estime ces vérités comme allant de soi, mais soyons clairs : je suis un gâchis. Je suis pleine de contradictions. Je pratique mal le féminisme de plusieurs façons.

J’ai une autre confession. Lorsque je me rends à mon lieu de travail, j’écoute du gangster rap très fort. Même si les paroles sont dégradantes pour les femmes – ces paroles m’offensent profondément –, « Salt shaker », le classique des Ying Yang Twins, est génial. « Fais ce que tu peux avec ton T-shirt mouillé. Pute, tu dois t’agiter jusqu’à ce que ton cul fasse mal ! » Pensez-y. Poétique, n’est-ce pas ? Je suis complètement mortifiée par mes choix musicaux. Je crois fermement au travail des hommes, qui consiste en des tâches que je ne veux pas faire, dont : toutes les tâches domestiques, mais aussi tuer les insectes, sortir les poubelles, entretenir la pelouse et la voiture. Je ne veux rien avoir à faire avec cela. Le rose est ma couleur préférée. J’aime les magazines de mode et les jolies choses. Je regarde le Bachelor et les comédies romantiques, et j’ai des rêves absurdes sur des contes de fées devenus réalité. Certaines transgressions sont plus flagrantes. Si une femme veut prendre le nom de son mari, c’est son choix, et je ne peux pas juger. Si une femme choisit de rester à la maison pour élever ses enfants, j’accepte ce choix aussi. Le problème n’est pas que, par ce choix, elle se rende économiquement vulnérable ; le problème est que notre société est bâtie pour rendre les femmes vulnérables lorsqu’elles choisissent cela. Réglons ce problème.

Je rejette le féminisme dominant qui a toujours ignoré ou détourné les besoins des femmes de couleur, qui travaillent, des allosexuelles et des transgenres, en faveur des blanches, hétérosexuelles, de la classe moyenne et supérieure. Écoutez, si ceci est du bon féminisme, alors je suis une mauvaise féministe. Il y a aussi ceci : en tant que féministe, je subis beaucoup de pression. On a tendance à mettre les féministes visibles sur un piédestal. On s’attend à ce qu’elles soient parfaites. Quand on est déçu-e-s, on les pousse allègrement du piédestal sur lequel nous les avions posées. Comme j’ai dit, je suis un gâchis – considérez-moi descendue du piédestal avant que vous n’essayiez de m’y mettre. Trop de femmes, en particulier, les innovatrices et les leadeuses de l’industrie ont peur d’être cataloguées comme féministes. Elles ont peur de se lever et de dire : « Oui, je suis féministe », par peur du sens de cette étiquette, par peur de ne pas être à la hauteur de ces exigences irréalistes.

Prenez par exemple Beyoncé ou, comme je l’appelle, La Déesse. Elle est récemment apparue comme une féministe visible. Aux MTV Music Awards en 2014, elle a chanté et dansé devant le mot « Féministe », de 3 mètres de hauteur. C’était un spectacle mémorable que de voir cette pop star adoptant le féminisme et faisant savoir aux jeunes gens qu’être féministe est quelque chose qu’on doit célébrer. Puis la magie est passée, et les critiques ont débattu sans fin pour savoir si Beyoncé était vraiment féministe. Ils et elles ont catégorisé son féminisme, au lieu de simplement prendre au mot une femme mature et accomplie. On exige la perfection des féministes, parce que l’on se bat pour tellement, nous en voulons tellement, nous avons besoin de beaucoup trop. Nous dépassons la critique raisonnable et constructive, et préférons disséquer toutes les formes de féminisme, les détruisant jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Nous n’avons pas besoin de faire ça. Le mauvais féminisme, ou à vrai dire le plus inclusif, est un point de départ. Mais après ? Nous passons de la reconnaissance de nos imperfections à la responsabilité, ou au passage à l’action, et devenons un peu courageux-ses. Si j’écoute de la musique dégradante, je crée la demande à laquelle des artistes sont plus que ravis de fournir un approvisionnement illimité. Ces artistes ne changeront pas la manière dont ils parlent des femmes jusqu’à ce que nous exigions ce changement en affectant leur réalité. Évidemment, c’est difficile. Pourquoi faut-il que ça sonne si bien ? C’est difficile de prendre la bonne décision, et tellement simple de justifier la moins bonne. Mais… quand je justifie mes mauvais choix, je rends plus difficile la bataille des femmes pour l’égalité, l’égalité que nous méritons toutes, et j’ai besoin d’assumer cette erreur.

Je pense à mes nièces de 3 et 4 ans. Elles sont magnifiques, persévérantes, brillantes, et ne manquent pas d’audace. Je veux qu’elles évoluent dans un monde où elles seront appréciées pour les puissantes créatures qu’elles sont. Je pense à elles, et soudain, le meilleur choix devient plus simple à faire. Nous pouvons tou-te-s prendre les bonnes décisions. Nous pouvons changer la chaîne quand un programme télé montre la violence contre les femmes comme récréative – Game of Thrones. On peut changer de chaîne radio quand on entend des chansons qui maltraitent les femmes. On peut dépenser notre argent ailleurs que dans des films traitent les femmes comme des objets décoratifs. On peut arrêter de supporter les sports professionnels où les athlètes traitent leur partenaire comme des sacs de boxe. Autrement dit, les hommes, surtout les blancs hétérosexuels, peuvent dire : « Non, je ne publierai pas dans votre magazine, je ne participerai pas à votre projet, ou ne travaillerai pas avec vous, jusqu’à ce que vous incluiez un juste nombre de femmes, comme participantes et comme preneuses de décisions, jusqu’à ce que votre publication ou votre organisation inclue tous les types de différences. » Celles qui parmi nous sont en minorité, et qui sont invitées à prendre part à ces projets, peuvent aussi refuser d’être incluses jusqu’à ce que plus d’entre nous puissent casser ce plafond de verre et arrêtions d’être traitées comme des pions. Sans ces efforts, sans ces prises de position, nos succès ne voudront pas dire grand-chose. Nous pouvons être courageux-ses et espérer que nos choix influencent les gens au pouvoir : éditeurs-rices, producteurs-rices de musique ou de films, PDG, législateurs-rices… ces personnes qui peuvent prendre les décisions afin de créer un changement considérable et sur le long terme. Nous pouvons aussi affirmer notre féminisme audacieusement, qu’il soit bon, mauvais, ou entre les deux. La dernière phrase de mon livre dit : « Je préfère être une mauvaise féministe que pas féministe du tout. » C’est vrai pour tellement de raisons, mais, avant tout, je dis ceci parce qu’il fut un temps où ma voix m’a été volée, et le féminisme m’a aidée à la retrouver.

Il y a eu un accident. Je l’appelle « accident » pour pouvoir porter le fardeau de ce qui s’est passé. Des garçons m’ont brisée, quand j’étais si jeune, je ne savais pas de quoi les garçons pouvaient être capables. Ils m’ont traitée comme une moins que rien. J’ai commencé à croire que je n’étais rien. Ils ont volé ma voix et, par la suite, je n’osais plus croire que mon opinion avait une importance. Mais… j’avais l’écriture. Et je me suis réécrite. J’ai écrit une version plus forte de moi-même. J’ai lu les mots de femmes qui pourraient comprendre mon histoire et de femmes qui me ressemblaient et comprenaient l’expérience d’évoluer dans le monde avec la peau noire. J’ai lu les mots de femmes qui m’ont montré que je n’étais pas une moins que rien. J’ai appris à écrire comme elles, et après, j’ai appris à écrire en tant que moi-même. J’ai retrouvé ma voix, et j’ai commencé à croire qu’elle était plus forte que ce que je croyais. Par l’écriture et le féminisme, j’ai aussi découvert que si j’étais un peu courageuse, une autre femme pourrait m’entendre, me voir et reconnaître qu’aucune d’entre nous n’est la moins que rien que le monde tente de nous faire croire. D’une part, je porte en moi la force d’accomplir n’importe quoi. Et de l’autre, je porte la réalité modeste de n’être qu’une seule femme.

Je suis une mauvaise féministe, je suis une femme bien, j’essaie de m’améliorer dans ma manière de penser, et ce que je dis, et ce que je fais, sans pour autant abandonner ce qui fait de moi un être humain. J’espère que nous pourrons tou-te-s faire la même chose. J’espère que nous pouvons toutes être courageuses, lorsque nous avons le plus besoin d’un tel courage.

 

Sur l’écran de la rédac de Deuxième Page

  • Coup de film, le long-métrage de la semaine : à l’ère de la surcommunication et du lissage progressif du contenu culturel que l’on nous propose dans le mainstream, le besoin de bizarrerie semble plus important que jamais. Et How to Talk to Girls at Parties, réalisé par John Cameron Mitchell, est exactement ce dont nous avions besoin. Adapté d’une nouvelle de Neil Gaiman, ce film au titre de romcom au rabais s’avère être une œuvre étrangement douce sur le sentiment d’appartenance, l’amour, l’amitié et la communauté. C’est de la SF hallucinée comme il en existe trop peu, pleine de punk, de couleurs vibrantes et avec une Nicole Kidman drôlissime, dont la seule présence mérite ton visionnage. Amour intergalactique, menace d’extinction et fantaisie non-conformiste sont les ingrédients de la recette contestataire de ce long-métrage enchanteur. Alors, sans hésiter, va vite voir How to Talk to Girls at Parties au cinéma !

How to Talk to Girls at Parties, réalisé par John Cameron Mitchell, 2018. © ARP Sélection

  • RévâsSéries, la vie de la rédac depuis son canapé : on n’a qu’une vie et, selon les Fab5, on devrait plutôt la passer à faire preuve de compassion et d’amour (pour soi et les autres) plutôt que se refermer sur nous-mêmes et détester le monde entier. Alors oui, on te l’accorde, Queer Eye, c’est hyper niais, plein de bons sentiments, mais qu’est-ce que ça fait du bien. Si l’on devait décrire rapidement le concept, c’est une émission de makeover dont le principe est à l’opposé de toutes celles animées par Cristina Córdula. Ici, le relooking n’en est pas vraiment un. Personne n’essaye de changer les gens en faisant en sorte qu’ils cachent un bourrelet et en vantant les bienfaits des gaines. Les Fab5, c’est une équipe de coachs gay – fabuleux, astucieux  et enthousiastes – qui accompagne les personnes qui participent à l’émission, souvent des hommes hétéros dans une situation compliquée, mais pas que. Cela passe par beaucoup d’attention, de bienveillance et… de déconstruction de la masculinité, ce qui est certainement la meilleure chose dans Queer Eye. Évidemment, la série produite par Netflix est symptomatique d’une réalité sociale compliquée aux États-Unis. Avec chaque épisode, elle tente d’aborder des sujets qui animent les discussions publiques, plus particulièrement depuis l’élection de Donald Trump. Mais surtout, Queer Eye nous rappelle qu’une émission TV divertissante n’a pas besoin d’être basée sur le ridicule, la moquerie, la critique et le pathétique. Il est visiblement possible d’y mettre beaucoup d’engagement et de positivité, sans pour autant être dans le superficiel. (Protip : sors les mouchoirs.)

 

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Image de une :  Roxane Gay lors du TED Women, 2015. © TED Talks