Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • Toni Morrison: “I’m writing for black people… I don’t have to apologise” : en 2015, à l’occasion de la sortie de Délivrances, l’autrice Toni Morrison donnait une interview au Guardian. Elle y défendait le fait d’écrire pour la communauté noire, rappelant que la plupart des ouvrages qu’elle a pu lire étant jeune ne lui étaient pas destinés. « J’écris pour les Noir-e-s, de la même façon que Tolstoï n’écrivait pas pour moi, une fille de couleur de 14 ans, venant de Lorain, en Ohio. Je n’ai pas à m’excuser ou à me sentir limitée parce que je n’[écris pas sur les Blanc-he-s] – ce qui n’est pas tout à fait vrai, il y a beaucoup de Blanc-he-s dans mes livres. Le but, c’est de ne pas avoir le critique blanc assis sur votre épaule et donnant son assentiment. » Une chose qui pour elle n’a jamais été un problème. [The Guardian] [ENG]
  • « On a peur qu’ils soient blessés ou tués » : comment des familles noires et arabes apprennent à leurs enfants à vivre avec les forces de l’ordre : la peur des violences policières est le quotidien de nombreuses personnes racisées en France. Une peur fondée, appuyée par le Défenseur des droits qui expliquait récemment l’existence d’une « discrimination systémique » lors des contrôles policiers. Cette réalité est pourtant – bien trop souvent – difficile à concevoir pour les Blanc-he-s, qui devraient prendre le temps d’écouter les concerné-e-s. Dans cet article, un jeune homme témoigne par exemple : « Mes grandes sœurs m’ont constamment mis en garde : “Fais attention à ta façon de parler, ton regard, aie toujours ta carte d’identité sur toi, ne t’énerve pas face à des agents, ne fais pas de gestes brusques.” » [Francetvinfo]
  • Interpellation de Farida, infirmière : « Cette collègue, ça aurait pu être nous toutes » : le 16 juin 2020, lors de la manifestation des personnels soignants pour l’hôpital public à Paris, une infirmière, Farida C., a été victime de violences policières après avoir lancé quelques projectiles en direction des forces de l’ordre présentes. En groupe, les agent-e-s se sont jeté-e-s sur elle, la tirant par les cheveux et l’empêchant de parler en lui mettant la main devant la bouche. En blouse blanche, le front en sang, elle a réclamé sa ventoline dans la plus grande indifférence. Son interpellation très violente a provoqué l’indignation, et relance un débat plus que jamais d’actualité autour des violences policières. [Basta !]
  • J’étouffe : en 2016, dans son documentaire I Am Not Your Negro, le cinéaste et ancien ministre de la Culture de la République d’Haïti Raoul Peck retraçait, à travers les écrits et propos de James Baldwin, la longue lutte des Noir-e-s américain-e-s pour les droits civiques. Aujourd’hui, il exprime sa colère dans un texte, bien qu’il soit « fatigué d’éduquer, d’être patient, de faire bonne mine contre mauvaise fortune, alors [qu’il est] confronté à un racisme dégradant (conscient ou inconscient) ». Face à l’impunité des forces de l’ordre, il apporte tout son soutien aux manifestant-e-s qui se révoltent aujourd’hui : « Ils ont raison de se soulever, ces jeunes. Ils ont raison de manifester, ils pourraient même avoir raison de tout casser (voilà, je l’ai dit !). Car l’État profond est sans tête (pensante), sans bras (actifs). » Raoul Peck nous invite à briser le mythe de cette France glorieuse dont la prospérité a été bâtie sur des années de capitalisme, de colonialisme et de racisme. [Le 1]
  • États-Unis : victoire historique pour les salarié.e.s LGBT+ devant la Cour suprême : dans un contexte compliqué et difficile, une nouvelle parvient tout de même à raviver notre optimisme : mi-juin 2020, la Cour suprême des États-Unis a accordé aux salarié-e-s LGBTQIA+ « le bénéfice des mécanismes de lutte contre les discriminations au travail ». Les minorités sexuelles n’étaient jusqu’alors pas protégées par la loi fédérale de 1964. Celle-ci interdit les discriminations « en raison du sexe », mais dans les faits, ne s’applique très souvent qu’aux discriminations sexistes. Désormais, les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans le cadre du travail sont clairement interdites. [Komitid]

 

Dans les oreilles et sur les écrans de Deuxième Page

  • Le podcast de la semaine : Émotions, c’est le podcast qui décortique… les émotions ! D’où viennent-elles, comment se manifestent-elles, et comment vivre avec chaque jour qui passe ? Qu’il s’agisse de la rancune, de la résilience, de l’hypersensibilité, de la confiance en soi ou encore de la compersion, elles sont passées au crible par Cyrielle Bedu et les intervenant-e-s qu’elle interroge pour l’occasion. L’épisode sorti le 13 avril portait sur une émotion chère à la rédac, surtout en cette période : la colère. Souvent considérée comme un mal, la colère fait parler d’elle et n’est jamais très bien acceptée. Mais est-elle forcément négative, ou a-t-elle un rôle positif à jouer dans nos existences ? Cyrielle Bedu en discute avec une femme qui s’est longtemps considérée comme colérique, une militante féministe pour laquelle la colère devient une énergie, un neuropsychologue de l’émotion, ainsi qu’un psychologue qui organise des ateliers sur la colère. Ils et elles y expliquent quelles formes elle peut prendre ainsi que ce qu’elle peut nous apporter, en tant que signal d’alarme ou en tant que moteur pour faire changer le monde. Après avoir écouté cet épisode, ta conclusion sera limpide : il est temps de réhabiliter la colère.

Cet épisode nous a d’autant plus intéressées qu’il traite de l’émotion à laquelle nous consacrons l’entièreté de notre premier magazine papier. Direction Ulule pour découvrir 176 pages de révolte féministe !

 

  • La vidéo de la semaine : c’est une vidéo qui a largement circulé en ligne ces dernières semaines. L’écrivaine Kimberly Latrice Jones, interviewée par le documentariste David Jones, exprime son ressenti alors que les conversations en réaction au mouvement Black Lives Matter aux États-Unis semblent de plus en plus se concentrer sur la question des pillages et des vols. Durant sept minutes, elle dénonce un écran de fumée, une volonté supplémentaire de vouloir dévier la discussion au lieu de se focaliser sur le fond des choses. Jones rappelle les faits historiques d’un pays qui aimerait trop souvent oublier son passé, et ses conséquences bien réelles sur le présent. Son discours étant encore inaccessible pour les personnes qui ne comprennent pas l’anglais, nous avons souhaité le traduire dans son intégralité.

J’ai vu passer et j’ai entendu beaucoup de choses, des conversations, des commentaires. Ce qui est intéressant, c’est que ceux et celles que j’ai entendu faire des commentaires sont des Noir-e-s aisé-e-s, réagissant en disant qu’on ne devrait pas se révolter. Qu’on ne devrait pas piller. Qu’on ne devrait pas créer une rupture au sein de nos propres communautés. Et puis, de l’autre côté, il y a eu l’argument selon lequel on devrait taper là où ça fait mal : dans le porte-monnaie. On devrait se concentrer sur les jours de blackout où on ne dépense pas d’argent [en référence au #blackouttuesday, ndlr]. Mais j’ai l’impression qu’on devrait faire les deux. Et je crois que je suis pour les deux. Et je vais vous dire pourquoi je soutiens les deux. Je soutiens les deux parce que lorsqu’il y a une agitation sociale comme celle-ci, il y a trois types de personnes dans les rues : il y a les manifestant-e-s, les émeutiers-ères et les pillard-e-s.

Les manifestant-e-s sont là parce qu’ils et elles se soucient de ce qu’il se passe dans la communauté. Ces personnes veulent faire entendre leur voix et sont là uniquement pour protester. Tu as les émeutiers-ères qui sont en colère, qui sont anarchistes, qui veulent vraiment juste foutre la merde, et c’est ce qu’ils et elles feront, quelle que soit la situation. Et puis, il y a les pillard-e-s. Et les pillard-e-s sont presque exclusivement là pour faire ça : piller.

Alors, les gens disent : « Eh bien, qu’avez-vous gagné ? Qu’avez-vous tiré du pillage ? » Je pense que tant qu’on se concentre sur ça, nous ne nous concentrons pas sur le pourquoi. Et c’est là mon problème. Tant qu’on se concentre sur ce qu’ils et elles font, on ne se concentre pas sur les raisons. Certaines personnes disent : « Ces gens ne sont pas légitimement en colère contre ce qu’il se passe. Ils veulent simplement obtenir des choses. »

D’accord. Alors, allons-y. Disons qu’il s’agit de ça. Demandons-nous pourquoi, dans ce pays en 2020, l’écart financier entre les Noir-e-s pauvres et le reste du monde est tellement grand que les gens ont l’impression que leur seul espoir et leur seule possibilité d’obtenir certaines des choses qu’on agite devant leur nez à longueur de temps est de traverser une vitre brisée et de les récupérer ; qu’ils sont si désespérés, qu’avoir ce collier, cette télévision, cet argent, ce lit, ce téléphone, etc., – peu importe ce qu’ils auront –, sur le moment, quand les émeutes se produisent et qu’il y a une opportunité de piller, c’est leur seule chance de les avoir.

On doit se demander pourquoi. Pourquoi les gens sont-ils si pauvres ? Pourquoi les gens sont-ils si fauchés ? Pourquoi les gens sont-ils dans une telle situation d’insécurité alimentaire, d’insécurité vestimentaire, qu’ils ont l’impression que leur seule chance est de saisir l’opportunité quand elle se présente de traverser une vitre brisée pour obtenir ce dont ils ont besoin. Et ensuite, les gens embrayent : « Eh bien, il y a beaucoup de gens qui se sont débrouillés et ont eu tout ça par eux-mêmes. Pourquoi ne peuvent-ils pas le faire ? »

Laisse-moi t’expliquer quelque chose sur l’économie en Amérique – et je suis tellement heureuse, enfant, d’avoir eu l’occasion de passer du temps à PUSH [l’organisation Opération PUSH (People United to Serve Humanity), ndlr], où on m’a appris ça –, on ne doit jamais oublier que l’économie est la raison pour laquelle les Noir-e-s ont été amené-e-s dans ce pays. Nous sommes venu-e-s faire du travail agricole dans le Sud et celui du textile dans le Nord. Comprends-tu cela ? C’est ce que nous sommes venu-e-s faire. Nous sommes venu-e-s faire le travail agricole dans le Sud et le travail textile dans le Nord.

Imaginons que là, je joue au Monopoly avec toi, et que durant 400 parties, je ne t’autorise pas à gagner de l’argent, à avoir quoi que ce soit sur le plateau, que je t’interdise d’avoir quoi que ce soit. Et puis, imaginons qu’on joue encore 50 parties de Monopoly et que tout ce que tu as gagné et possédé pendant que tu jouais t’a ensuite été confisqué. Tout ça, ça représente Tulsa. Ça représente Rosewood. Ce sont des lieux où nous avons construit la richesse économique noire, où nous étions autosuffisant-e-s, où nous possédions nos magasins, où nous possédions notre propriété, et ils et elles [les Blanc-he-s, ndlr] les ont réduits en cendres.

Donc tout ça, c’est 450 ans. Donc, pour 400 parties de Monopoly, tu n’as pas le droit de jouer du tout. Non seulement tu ne peux pas jouer, mais tu dois jouer pour le compte de tes adversaires. Tu dois jouer et gagner de l’argent et obtenir des richesses pour eux et elles, et ensuite, tu dois leur remettre. Ensuite, pendant 50 ans, tu obtiens un petit peu et tu as le droit de jouer. Et chaque fois que tes adversaires n’aiment pas ta façon de jouer, ou que tu les rattrapes, ou que tu fais quelque chose pour être indépendant-e, ils et elles brûlent ce que tu as obtenu durant le jeu : tes cartes, ton argent. Et finalement, à l’arrivée et au commencement de tout ça, ils et elles te permettent de jouer, et te disent : « Allez, maintenant, rattrape-nous. »

Maintenant, à ce stade, la seule façon de rattraper le temps perdu est de partager la richesse, n’est-ce pas ? Mais que se passe-t-il si, chaque fois que tu partages la richesse, il y a une guerre psychologique contre toi disant : « Oh, tu as été embauché-e au nom de l’égalité des chances » [une législation datant du Civil Rights Act de 1964 interdit aux entreprises de pratiquer la discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion ou l’origine nationale, ndlr]. Donc si on jouait 400 parties de Monopoly ensemble durant lesquelles je serais obligée de te donner chaque centime que j’ai gagné, et qu’après, pendant 50 ans, si à chaque fois que je jouais, tu n’aimais pas ce que je faisais, tu avais le droit de tout brûler, comme cela a été le cas à Tulsa et à Rosewood, comment est-il possible de gagner ?

Tu ne peux pas gagner. Le jeu est truqué. Alors, les gens demandent : « Pourquoi brûlez-vous votre communauté ? Pourquoi brûlez-vous vos propres quartiers ? » Ce ne sont pas les nôtres. Nous ne possédons rien. Nous ne possédons rien. Trevor Noah l’a si bien dit hier soir. Il y a un contrat social qui nous lie tou-te-s : si tu voles ou si je vole, la personne qui représente l’autorité intervient et règle la situation. Mais cette personne nous tue. Donc le contrat social est rompu. Et si le contrat social est rompu, pourquoi devrais-je me soucier qu’on brûle le Pro Football Hall of Fame ou Target [chaîne de grande distribution américaine, ndlr] ?

Vous rompez le contrat social quand vous nous tuez dans la rue et que vous n’en avez rien à foutre. Vous avez rompu le contrat social pendant 400 ans, durant lesquels nous avons joué selon vos règles et construit votre prospérité ! Vous avez rompu le contrat quand nous avons reconstruit notre richesse à la sueur de notre front à Tulsa, et que vous avez lâché des bombes sur nous ; quand nous l’avons construite à Rosewood et que vous êtes venu-e-s et nous avez massacré-e-s. Vous avez rompu le contrat. Alors, au diable votre Target. Au diable votre Hall of Fame. Pour moi, ils et elles pourraient tout réduire en cendres, et ce ne serait toujours pas assez. Et ces personnes [les Blanch-e-s, ndlr] ont de la chance que les Noir-e-s réclament l’égalité, et non la vengeance.

 

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Image de une : © kimberlylatricejones