Le refus de la maternité, les fausses couches, la révolte… Mathilde s’exprime en trois poèmes sur trois grandes thématiques féministes, au centre desquelles le corps est un élément clé.
À l’occasion de la deuxième édition de Dépossédées, notre club de lecture, nous vous avions proposé d’écrire sur le thème « Mon corps et moi » et de partager vos créations sur le rapport que vous entretenez avec votre corps. Merci pour vos participations, toujours touchantes, et qui décrivent bien les relations ambivalentes que l’on peut avoir avec notre propre corps, tantôt belles tantôt douloureuses.
 [Attention, ce texte évoque des sujets difficiles.]
La question
À un moment, forcément,
 Il s’agit de savoir s’il y aura, là
 Si elle veut qu’il y ait là – ici
 De la vie
 Elle, c’est la fille – ou je veux dire la femme
 Celle : nubile, fertile, fragile, docile
 En laquelle on croit
 Du verbe croître, tu sais
 Dans laquelle on peut croître
 Il s’agirait de savoir, à présent, forcément
 Car l’heure tourne toujours et les autres aussi autour
 Ils veulent savoir, à un moment, forcément
 Si elle envisage, elle, d’envisager, elle
 De loger là, dans son dedans
 Tout dedans, là devant
 Pour un temps
 Un pronom personnel
 En plus de celui d’elle
 Un il ou bien un elle, ou un combo pluriel
 Ils seraient deux alors en elle
 – Nubile, fertile, fragile, docile
 Qui ne sait pas encore, point mort
 Peut-elle peut-être pourquoi pas,
 Ne pas avoir d’avis
 Sur son envie d’une autre vie
 Que la sienne sous ses habits ?
 Sa chair est-elle celle d’une mère ?
 – Son corps n’est pas de nos affaires.
***
Poubelle
Un jour, que dehors il fait beau
 On se réveille
 Un jour, que dehors du ciel bleu
 On se réveille joyeux
 Un jour, comme il y a un an
 On se réveille content
 Et un jour on se retrouve
 Avec un enfant dans la culotte
 Je veux dire une idée d’enfant
 Un projet seulement
 Qui baigne dans le sang
 Un jour seule au monde
 On se retrouve alors
 À jeter son enfant à la poubelle
 Dans un petit sac blanc
 Un jour, on est bien obligée
 Un jour, de laver ses mains au savon
 Pour bien enlever les restes d’enfant
 Un jour, on doit le regarder
 L’imaginer
 L’envisager
 S’en séparer
 Un jour, et c’est le même, il faut retourner travailler
 Un jour, tous ceux d’après, il ne faut pas trop en parler
 Mais ce matin je me rappelle
 De cet enfant à la poubelle
 Un jour on le dit à quelqu’un
 Et puis c’est une amie
 Et un jour elle l’a fait aussi
 Un jour, elle y repense souvent
 Mais un jour elle n’en parle jamais
 Un jour une autre amie aussi
 Et un jour une autre maintenant
 Enfin vraiment, c’est incessant
 Un jour tout le monde jette son enfant à la poubelle, c’est ça ?
 Un rituel que je ne connaissais pas ?
 Un jour sans doute il faudra parler plus de ça
 Un jour peut-être en faire comme un genre de poème
 Qui ne serait ni triste ni trop long
 Mais qui dirait tout pour de bon
 Pour qu’un jour quelqu’un s’en souvienne ici
 Qu’un jour tout le monde sache aussi
 Et qu’un jour tu ne te sentes pas trop seule
 Pour qu’un jour personne n’ait honte de ça
 Un jour, surtout pas toi
***
Politique de respectabilité
À quoi bon la raie au milieu
 Et les cheveux si bien lissés ?
 À quoi bon le sourire mielleux
 La politesse exagérée ?
 S’ils finissent quand même par nous tuer.
 On ne meurt pas vraiment toujours :
 ça dépend des siècles ou des jours
 Mais le geste n’a pas changé : nous tuer
 À quoi bon, sois gentille, allez
 Et ma chérie fais un bisou
 À quoi bon parle bien, tout doux
 Puisqu’on finit toujours dessous
 En dessous, nous, de tout
 À quoi bon l’air puni ?
 La prochaine fois, le cri
 À quoi bon l’air heureux ?
 La prochaine fois, le feu.