Blandine s’adresse à son corps, à la fois son abri et son piège, qui a reçu les violences sans jamais faillir. Aujourd’hui, elle lui tend la main dans un élan de reconstruction.
À l’occasion de la deuxième édition de Dépossédées, notre club de lecture, nous vous avions proposé d’écrire sur le thème « Mon corps et moi » et de partager vos créations sur le rapport que vous entretenez avec votre corps. Merci pour vos participations, toujours touchantes, et qui décrivent bien les relations ambivalentes que l’on peut avoir avec notre propre corps, tantôt belles tantôt douloureuses.
[Attention, ce texte évoque des sujets difficiles.]
Oh, mon corps.
Comment parler de notre relation ? Haine et amour, colère et pitié, tristesse et dégoût. Amour quand tu m’as permis de vibrer au contact des autres. Haine lorsque tu leur as servi de cible pour m’atteindre, toi la seule porte, la seule fissure dans mon intégrité.
Tu as été ma chute, mon corps. Tu as subi tous les outrages. Leurs moqueries, leurs attouchements. La pesanteur de leur regard. Le dégoût que tu lisais dans leurs yeux, cette violence. La douleur, si profonde qu’elle se situait sous l’épiderme, comme si la cruauté invisible de leurs actions, les mots qui tachent n’étaient jamais perceptibles.
Tu as toujours paru fort, mon corps. Tu n’as jamais transigé. La souffrance s’est accumulée, et tu es devenu énorme, comme elle. On s’habitue à la souffrance. Tu n’as rien laissé paraître. Toujours sous la peau, jamais au-dessus.
Tu m’as enchaînée, mon corps, barrière infranchissable et pourtant seul rempart accessible à leur cruauté. On t’a malmené, secoué, frappé. Beaucoup ont cherché à m’atteindre à travers toi, seule façade visible à offrir à leur haine. Humilié, rabaissé, tu as tenu bon, et tu es resté le fidèle ambassadeur de mon être. Mais je ne peux m’empêcher de t’en vouloir, toi sans qui personne n’aurait jamais pu me contraindre.
Tu m’as limitée, mon corps, tu m’as étouffée. Te souviens-tu comme j’ai essayé de me défaire de toi ? Ces nuits où j’ai cherché le tranchant, prête à m’entailler, à faire sauter l’ultime barrage que tu représentais, et à laisser le sang couler, comme si toute la souffrance allait rouler avec lui, et me libérer de toi ?
Quelle torture d’être si fragile et toi si robuste !
Mon corps, ma muraille, mon mensonge aux yeux du monde. C’est toi qui as pris les coups pour me sauver. J’ai cherché à te fuir pour accepter mes faiblesses, tandis que tu restais inchangé. Tu conservais ton poste, seul allié contre la cruauté de leurs mots. Tu as sauvé mon esprit. Et pour cela, merci.
Mes sentiments ne seront peut-être jamais apaisés. Je ne cesserai peut-être jamais de te fuir. Il faudra du temps pour reconstruire les fondations qu’ils ont brisées, mon corps, pour tout recommencer. Un jour peut-être nous tendrons-nous le drapeau blanc, et nous serrerons-nous la main. Nous ferons la paix. En attendant, faisons de notre mieux pour lancer les pourparlers, toi pour arrêter de me protéger à tout prix, et moi pour ne plus me cacher en toi. On a besoin de vacances, tou-te-s les deux.