Injonctions, violences, autodestruction… Il est difficile de s’approprier son corps et de l’apprécier chaque jour. Mais malgré les traumatismes, l’autrice de ce texte a trouvé le moyen d’être heureuse comme elle est, avec son corps à elle.

 

À l’occasion de la deuxième édition de Dépossédées, notre club de lecture, nous vous avions proposé d’écrire sur le thème « Mon corps et moi » et de partager vos créations sur le rapport que vous entretenez avec votre corps. Merci pour vos participations, toujours touchantes, et qui décrivent bien les relations ambivalentes que l’on peut avoir avec notre propre corps, tantôt belles tantôt douloureuses.

 

[Attention, ce texte évoque des sujets difficiles.]

 

Ce corps et la société

Société malsaine. Société qui, petit à petit, insidieusement, essaye de me faire comprendre que la beauté est graduée. Société malsaine qui transforme chaque partie du corps en case à cocher afin d’appartenir à la catégorie que nous nommons « beauté ». Société qui tente de te voler ce corps qui t’appartient. Société qui te juge. Société qui se permet de donner son avis. Société qui fait de ton corps un sujet de discussion. Société qui te fait détester tes courbes, tes creux, tes reliefs, tes couleurs et tes textures. Société qui aime les corps élancés, musclés et lisses. Société qui oublie que les corps sont vivants, qu’ils ont des histoires et qu’ils se construisent au fil du temps. Société qui classe ton corps en fonction du genre assigné à ta naissance. Société qui n’accepte pas les poils des femmes. Société qui n’accepte pas qu’un homme exprime sa part de « féminité », et inversement. Société qui a besoin de nous mettre dans les cases « femme » et « homme » pour se rassurer alors que nous sommes tou-te-s humain-e-s. Société qui oublie que la beauté se retrouve dans les particularités de chacun-e. Que la beauté est subjective, et subjectivement belle. Société qui te fait oublier que ce corps, il t’appartient. Petit à petit, tu oublies que tu formes un tout. Que ton corps et ton âme t’appartiennent ; à toi – uniquement à toi – intimement. Et c’est à ce moment-là que, toi aussi, tu laisses la société donner son avis sur ton corps. Pire, l’avis de cette société t’affecte et devient important. Tu te sépares de ce corps, et finalement la rupture se crée entre lui et toi.

Ton corps à toi

Mon corps a été volé. Transformé en ton corps, à toi. Ton corps, celui que toi tu dis aimer. Ton corps auquel moi-même je ne pouvais plus rattacher le mot « beauté ». Ton corps. Ce corps, tu l’as apprivoisé tandis que moi, je m’en suis séparée. Tu l’as fait tien. Sans t’en rendre compte, tu en es devenu l’agresseur. Mon corps a été violé ; ne faisant plus partie de moi, je te l’ai laissé. Je n’ai pas résisté. Je me suis très rapidement dit qu’il avait été créé pour ton plaisir. Je me suis dit que tu avais le droit d’utiliser ce corps. Je me suis dit que c’était ça, un couple. Je me suis dit que je t’appartenais, que ce corps t’appartenait. Je ne me suis pas rendu compte que c’était du viol. Je ne me suis pas rendu compte que c’était de la violence. Je ne me suis pas rendu compte de tout cela à temps. Trois années d’emprise insidieuse. Trois années de bonheur entrecoupées de violences. Trois années où mon corps est devenu ton corps. Trois années où ce corps est devenu sujet de désir, ton désir. Trois années où je me suis perdue, et puis finalement retrouvée.

Mon corps et moi

Mon corps a longtemps été un moyen d’exprimer mes douleurs psychiques. Je l’ai longtemps moi-même maltraité afin d’exprimer d’autres douleurs, plus complexes à verbaliser. J’ai trop longtemps dénigré ce corps lorsque, dans ma tête, c’était trop compliqué à gérer. J’ai bien trop de fois pensé qu’il était inutile de continuer d’avancer dans ce corps si la tête ne suivait pas. Je lui ai bien trop souvent fait de grosses frayeurs, lui qui n’avait rien demandé.

Ça n’a pas été tous les jours facile pour mon corps de vivre avec notre société, avec l’agresseur ou encore avec moi-même. Désormais, notre cohabitation s’est assainie. Je lui rappelle dès qu’il le faut son importance, surtout lorsque dans ma tête, gérer est compliqué. Dans ces moments-là, c’est lui qui doit rester fort pour que je puisse en ressortir à chaque fois plus confiante, forte et sereine.

Mon corps est beau. Mon corps est fait de courbes reliées les unes aux autres. Mon corps est vivant et sert à vivre. Mon corps est unique et robuste, avec des moments de faiblesse. Mon corps me permet de me déplacer, de profiter, de danser, de m’exprimer, de crier, de pleurer, de rire, d’enlacer, de chanter et de respirer. Mon corps est magique. Mon corps a été brutalisé et il a désormais besoin d’être traité à sa juste valeur. Mon corps ne mérite plus aucune violence, qu’elle soit psychologique, verbale, physique ou sexuelle. Mon corps n’a pas à être jugé par les autres. Mon corps n’a pas besoin de ton avis.  Mon corps est mon arme, il me permet de défendre mes droits. Il me permet d’exprimer mes émotions. Il me permet de me connecter aux autres, à la nature et à moi-même.

Je suis une femme, j’ai des formes, des creux, différentes textures, des cheveux courts, des poils, de petits pieds, de petites oreilles, un nez tordu, une bouche qui part en vrille, j’ai des cernes, des mains potelées, des vergetures et de la cellulite. Mon corps ne correspond pas aux « standards de beauté ». Il correspond à celle que je suis. Et je suis heureuse d’être celle que je suis.

 


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