Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • Half a century of dither and denial – a climate crisis timeline : certain-e-s semblent penser que la crise écologique nous tombe dessus soudainement. Mais cela fait plus de cinquante ans que les mises en garde se multiplient. Les politiques et l’industrie pétrolière sont au fait de la situation, et ce depuis longtemps. Malgré les avertissements, les 20 principales entreprises d’énergie fossile ont poursuivi leur déploiement, agissant en toute impunité et sans regard pour les limitations des émissions de carbone. The Guardian propose donc la frise chronologique d’« un demi-siècle de tergiversations et de déni », mettant en lumière les méthodes adoptées par ces entreprises pour dissimuler la menace réelle du réchauffement climatique au grand public. [The Guardian] [ENG]
  • Un record du monde à la nage réalisé par une femme passé inaperçu en Belgique : as-tu entendu parler de Sarah Thomas ? En août 2019, elle a réussi l’exploit de traverser la Manche à la nage à quatre reprises : 210 kilomètres, 54 heures de nage. Un record. Mais si les femmes font désormais partie intégrante du monde sportif, nous explique July Robert, « la couverture médiatique consacrée au sport féminin demeure aujourd’hui de 6 %. » Heureusement, en Belgique comme ailleurs, les choses s’améliorent, avec notamment de plus en plus de commentatrices et chroniqueuses. [RTBF]
  • Les femmes, premières victimes de la guerre du fake sur internet : le terme « deepfake » ( ou « hypertrucage », en français) désigne les vidéos obtenues grâce à une méthode d’altération reposant sur l’intelligence artificielle (IA). Avec cette technologie, il est possible de superposer des images et/ou des vidéos sur d’autres – et donc par exemple de remplacer le visage d’une personne. Et le deepfake se perfectionne à tel point qu’il devient de plus en plus difficile de distinguer les contenus authentiques de ceux truqués. Or, une étude récente d’une société spécialisée dans leur détection a révélé qu’à l’heure actuelle, 96 % de ces deepfakes sont pornographiques et consistent « à mettre le visage d’une femme sur une vidéo porno ». Comme l’explique Titiou Lecoq dans cet article, « cela nous ramène à cette vieille question : l’usage des technologies est souvent misogyne. […] Le pire avec ces deepfakes, c’est qu’il ne s’agit même plus de liberté sexuelle réelle. Il suffit de montrer le (faux) cul d’une femme pour l’humilier. Il suffit de la ramener à son cul, ses seins, sa vulve. Parce que, pour ces gens, montrer le corps nu d’une femme, c’est humiliant ». [Slate]
  • Fashion Victims: Can Creativity Survive If the Hustle Never Stops? : l’industrie de la mode fait face à des questions éthiques et morales. Comme le rappelle Mallika Khanna dans cet article, ce n’est pas une nouveauté : « Au milieu des années 2000, de grands magazines comme Vogue, Elle et Vanity Fair ont commencé à publier des “green issues” et des numéros spéciaux “écofashion”, qui sont devenus la tendance – pendant un certain temps, en tout cas, jusqu’à ce que quelque chose de nouveau prenne le relais. » Ici, Khanna questionne le modèle même de cette industrie, car peu importe les mesures mises en place pour tenter de créer la mode différemment, « le cycle saisonnier des tendances sur lequel repose l’industrie est un système fondamentalement insoutenable qui exige la production de vêtements à un rythme que notre environnement ne peut tout simplement pas suivre », explique l’autrice. L’une des solutions serait alors d’arrêter les Fashion Week, comme c’est le cas pour celle de Stockholm. Pour l’autrice, la fast fashion cause non seulement des dommages environnementaux colossaux, mais elle généralise aussi le recours à une main-d’œuvre exploitée – surtout des femmes – dans les pays du Sud. Enfin, cette manière de concevoir la mode détruit la créativité. « Ce n’est pas seulement l’industrie de la mode qui subit les effets ravageurs des exigences de production incessantes du capitalisme tardif : les créateurs-rices de tous les secteurs sont en proie à l’épuisement professionnel. » Un lien peut ainsi être fait entre l’univers des influenceurs-ses sur les réseaux sociaux et le monde de la mode : « Comme l’on attend de la part des influenceurs-ses qu’ils et elles proposent du contenu sans arrêt afin d’être identifié-e-s par les algorithmes, le caractère saisonnier de l’industrie de la mode oblige les créateurs-rices à remplir les armoires d’une saison à l’autre. Dans les deux cas, l’existence du produit est plus importante que le travail qu’il représente. » [Bitch Media] [ENG]
  • Bolsonaro et la barbarie capitaliste : une nouvelle interview passionnante à lire sur Ballast avec Mônica Francisco, pasteure, députée et membre du Partido Socialismo e Liberdade (PSOL), parti politique brésilien anticapitaliste. Elle y évoque la violence, le sexisme et le racisme présents dans le pays, mais aussi la mise en place par le gouvernement de mesures visant à criminaliser la pauvreté. « Le Brésil a laissé assassiner plus de 70 activistes des droits humains en 2017. La plupart d’entre eux étaient des figures importantes de la défense de l’environnement et des revendications des populations rurales, explique-t-elle. Le point culminant de ce processus a été atteint avec l’assassinat de Marielle Franco, porte-drapeau de nombreuses luttes et causes. Elle était noire, lesbienne et de gauche. » Pour elle, le néolibéralisme est au cœur des problèmes auxquels les citoyen-ne-s sont aujourd’hui confronté-e-s. Celui-ci « parvient à s’accaparer les esprits, les cœurs, et engrange les soutiens – à tel point qu’au Brésil, les travailleurs précaires acceptent de ne pas obtenir davantage de droits. Ce point est l’aspect le plus pervers de ce modèle. Il rend extrêmement difficile, bien que pas impossible, la lutte contre le fascisme, contre ce capitalisme barbare. Cette lutte sera notre grand défi au XXIe siècle. » [Ballast]

 

Sur les étagères et dans l’agenda de Deuxième Page

  • #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : chez Chris Kraus, il y a d’abord le rythme. L’enchaînement des phrases comme celui des pensées, inarrêtable et entêtant. L’on soupçonne l’autrice d’utiliser sa prose comme un piège. Certes, il ne se passe pas grand-chose dans ses récits, mais ses mots nous capturent immédiatement, agencés comme pour former des sortilèges. Dans la fureur du monde n’échappe pas à cette magie (paru aux éditions Flammarion en 2019 et dans sa version originale en 2012). Kraus y raconte les destins croisés de Catt et Paul, une femme et un homme que tout oppose et qui pourtant vont trouver leur salvation l’un-e chez l’autre. Elle, pour sa part, travaille comme critique d’art. Inlassablement, sa verve et son humour noir nous rappellent la voix de l’écrivaine elle-même. Son regard sur la société est précis, aiguisé et sans compromis. Catt est privilégiée et elle le sait. Son monde est celui de l’argent (qu’elle gagne en exerçant le métier de baronne de l’immobilier à ses heures perdues), des intellectuel-le-s et des faux semblants. Paul, lui, est un homme brisé. Quand on le rencontre, il sort de prison et tente comme il le peut de joindre les deux bouts alors que tout paraît jouer contre lui. La narration du roman est à la fois celle du présent et du futur. Kraus nous donne un aperçu de l’avenir de ses protagonistes, à la manière d’un d’épilogue morcelé qu’il nous conviendrait de recomposer durant notre lecture. Plus que jamais, ici, le récit est celui de la fuite : littérale, métaphorique et littéraire. Au fil des pages, l’on finit par faire partie de la vie de ces personnages, avec un grand sentiment d’impuissance face aux obstacles qu’ils rencontrent. Peu à peu, la toile de fond commence à couvrir Catt et Paul, jusqu’à les ensevelir totalement. Cette Amérique paradoxale de l’abondance, de la consommation, des inégalités n’est pas un décor : c’est un personnage à part entière. Kraus éviscère l’american dream, ou plutôt, fait l’autopsie intime des victimes de sa réalité. Ainsi, il y a peu de gagnant-e-s et beaucoup de perdant-e-s. Des êtres à la dérive qui se battent pour leur rêve, vaincus d’avance par un système conçu pour les faire échouer.

  • L’event de la semaine : du 30 octobre au 3 novembre 2019, le Smell Like Teen Spirit Festival fêtera sa senior year avec nous ! Une nouvelle fois, Léa Chesneau, Jeanne le Gall et Victor Bournerias – les trois rebelles adeptes des collier à piques et des Converse trouées à l’origine de ce beau projet – te proposent un programme riche et révolté. Pour cette édition un peu spéciale donc, le SLTSF inaugurera sa première compétition de courts-métrages. Et bonne nouvelle, le 31 octobre, si t’es en rade d’un plan pour ta soirée Halloween, tu peux toujours aller voir l’ultra culte Christine (1983) de John Carpenter et/ou le néo-giallo Amer (2010) du duo Hélène Cattet et Bruno Forzani. Que des bonnes choses ! Puis, le 3 novembre, autre jour autre ambiance, pourquoi ne pas passer quelques heures sous le signe des comédies musicales avec une version karaoké de Grease (1978) ? Enfin, deux films seront présentés en avant-première à l’occasion du festival : le documentaire Pahokee, une jeunesse américaine et le drame Knives and Skin, qui sortent tous deux prochainement. Pour profiter de tout ça, on se retrouve au cinéma Le Grand Action (Paris) pour cinq jours de colère adolescente et de cinéphilie obsessionnelle et assumée !

 

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Image de une : Knives and Skin, réalisé par Jennifer Reeder, 2019. © UFO Distribution