Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • #MeToo: what do you do when the art you love was created by a monster? : il n’est pas toujours évident de savoir comment aborder une œuvre culturelle – surtout si on l’apprécie – lorsque l’on apprend que la personne qui en est à l’origine a perpétré des actes détestables. Au cœur des débats sur ce sujet, différentes prises de position s’identifient, la plus classique étant qu’il est nécessaire de séparer l’artiste de son œuvre. Mais cela n’a, pour beaucoup d’entre nous, rien d’évident. Cette idée trouve sa source dans la théorie académique et était, comme le rappelle ici la journaliste Constance Grady, très populaire comme outil d’analyse pour la poésie au début du XXe siècle. Depuis, cette idée a fait du chemin. Dans cet article, Grady a décidé de discuter avec trois critiques littéraires pour aborder ce sujet souvent délicat. Par leurs réponses et grâce à ses analyses, elle nous donne des clés nous permettant de mieux comprendre notre propre façon de raisonner. Elle part donc du New Criticism, qui était voué à faire de l’analyse littéraire une science, jusqu’à son rejet par le Postmodernisme au milieu du XXe siècle, un mouvement pour lequel « l’auteur est mort » (Barthes) et où la séparation entre création artistique et son auteur ou autrice est significativement différente de celle du New Criticism . « L’auteur ou l’autrice ne crée pas le texte, selon Barthes. Le lecteur ou la lectrice le fait, par sa simple lecture », précise Grady. Puis, est venu le temps du Néo-historicisme à la fin des années 1990, qui voulait replacer les créations artistiques dans l’époque et le lieu qui les a vues naître. Ce courant affirme que cette démarche est nécessaire pour véritablement comprendre une œuvre, laquelle est inséparable de son contexte social. Réfléchir sur ces différentes visions et systèmes d’analyse peut nous permettre de piocher dedans, de les mélanger, de les adapter à nos besoins. Et surtout, de nous responsabiliser en tant que public et consommateurs-rices. [Vox] [ENG]
  • A Violinist Questions the Musical Divide Between West and East : la violoniste Layale Chaker a grandi à Beirut, évoluant entre deux mondes musicaux que beaucoup aimeraient opposer. Au conservatoire, elle a étudié les compositions de Mozart et Ravel avec des professeur-e-s venu-e-s d’Europe de l’est. Il existait bien évidemment des classes pour étudier le violon arabe dans la même école, mais, comme l’explique Corinna da Fonseca-Wollheim dans ce portrait, « les programmes étaient ségrégués ». C’est sur son temps libre que la jeune Layale s’est donc imprégnée des sonorités de la musique libanaise. De son propre aveu, pendant longtemps, la musicienne n’a pas questionné ce choix obligatoire et initial entre « occidental ou arabe ». C’est plus tard, en s’affirmant dans sa vie et dans son art, grâce au voyage et à l’apprentissage, qu’elle a pu se libérer de telles limitations, s’émanciper pour créer et improviser à sa manière en mêlant par exemple des sonorités traditionnelles arabes à des concertos de Mozart. Son album sorti en janvier 2019, Inner Rhyme, est le résultat du travail d’une artiste accomplie, fait d’identités multiples et brouillant tous les a priori de ses auditeurs-rices. Ce disque est d’une grande beauté, imprégné par une grâce singulière. Il explore au fil de ses morceaux des thématiques comme l’exil et la perte, prenant comme inspiration des poèmes écrits par des auteurs-rices syrien-ne-s, iraquien-ne-s et palestinien-ne-s. Comme l’écrit si joliment la journaliste du New York Times, « elle a pris leur métrique pour en faire le squelette rythmique de sa musique ». [The New York Times] [ENG]
  • Hausse des frais de scolarité : des universités s’alarment des baisses des candidatures étrangères : on t’avait déjà parlé de l’annonce gouvernementale d’augmenter les frais d’inscription à l’université pour les étudiant-e-s étrangers-ères. Deux mois après, Campus France nous annonce que le nombre d’inscriptions en première année est en baisse de 10 % pour la rentrée prochaine. Quant aux inscriptions tous niveaux confondus, Libération a contacté plusieurs universités ayant jusque-là un pourcentage important d’étudiant-e-s étrangers-ères. Il s’avère que la baisse est encore plus forte. Il faudra attendre la fin effective des inscriptions pour y voir plus clair, mais les conséquences de cette annonce sont réelles et graves. [Libération]
  • Comment les personnes trans financent leur transition grâce aux réseaux sociaux : pour des personnes trans* qui désirent faire leur transition, les obstacles dans la société française sont encore nombreux. Beaucoup d’entre elles redoutent le parcours médical dit « public », lequel permet le remboursement des démarches. En effet, « la lenteur de la prise en charge et la transphobie médicale » de la Société française d’études et de prise en charge de la transidentité (Sofect) sont souvent dénoncées par celles et ceux qui en ont fait l’expérience. Alors, pour beaucoup de personnes, Internet représente la possibilité d’une alternative, un possible solidaire et bienveillant : « Même les petites sommes nous aident déjà au niveau moral. Parfois on a vraiment du mal à réaliser que tout le monde ne méprise pas les personnes trans. La cagnotte c’est vraiment cool dans ce sens-là : on ne se sent plus si seul-e que ça. ». N’hésite pas, dès que tu as un peu de temps, à lire le très bon reportage de Komitid. [Komitid]
  • Changing focus: people with Down’s syndrome in a remarkable art project : le « Radical Beauty Project » est une démarche photographique, hautement artistique et influencée par l’univers de la mode. C’est aussi (tout est dans le nom) une création radicale qui s’inscrit au sein de milieux extrêmement codifiés et normés. C’est en tout cas la vision du directeur artistique qui en est à l’origine, Daniel Vais. Pour mener son projet à terme, il a entièrement financé le projet tandis que toutes les personnes qui ont participé ont travaillé bénévolement (cela inclut une quarantaine de photographes d’art et de mode). En 2019, les préjugés envers les personnes trisomiques sont encore nombreux. Avec des démarches artistiques comme le « Radical Beauty Project », elles sont visibilisées sans être instrumentalisées. Le but affirmé par cette démarche est de confronter nos idées reçues et de questionner les normes de beauté de nos sociétés contemporaines par une proposition artistique sans compromis et plurielle. [The Guardian] [ENG]

 

Dans la bibliothèque et dans les oreilles de Deuxième Page

  • #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : il aura fallu attendre 2010, soit 21 ans après la mort de son aimé Robert Mapplethorpe, pour que Patti Smith publie Just Kids, autobiographie consacrée à sa vie commune avec l’artiste prodigieux. Son premier amant, son soutien de toujours, son ami, son frère et probablement celui sans qui elle n’aurait pas foulé les scènes new-yorkaises puis internationales, sans qui elle n’aurait pas non plus écrit ce que la littérature contemporaine compte parmi ses plus grands chefs-d’œuvre ; et sans elle, il n’aurait probablement pas exposé, photographié et triomphé. Sur le fond hétérogène et terriblement engagé des années 1960 – 1970, Patti Smith raconte leur rencontre, quand elle et il étaient inconnu-e-s du grand public, et leur montée progressive, conjointe, à mesure de l’évolution de leur relation. Elle raconte les galères économiques, les trahisons (jamais l’un-e envers l’autre), les idées brillantes, les nuits créatives, et puis les douleurs, les morts successives, de Jim Morrison à Andy Wharhol, jusqu’à la pire, celle qui motive le livre : Robert Mapplethorpe lui-même. Elle et il se l’étaient promis : jamais elle et il ne se quitteraient, et elle écrit : « Il était l’artiste de ma vie ». Le récit est bouleversant autant qu’il est entraînant et stimulant : le processus créatif de Patti Smith au fil de ses rencontres, de ses moments de bravoure et de ses échecs éclaire avec tendresse et rage les premiers poèmes et albums, les dessins. Nous retrouvons avec émoi les photographies de Patti Smith par Robert Mapplethorpe. Just Kids détache un fragment de la vie de l’édifiante artiste aux mille facettes pour illustrer quelque peu le chemin de son art.

  • Passion Podcast, l’émission à écouter cette semaine : Brise Glace est un podcast suisse toujours très émouvant. On y rencontre des vies ordinaires mais souvent différentes des nôtres. Dans l’épisode 16, ce qui rend l’écoute si touchante, c’est la cohabitation d’une femme avec sa séropositivité. Sylvie a 19 ans lorsqu’elle apprend au hasard d’un banal dépistage pendant sa grossesse – qu’elle interrompra alors – qu’elle est séropositive. En 1988 le VIH/SIDA reste, aux yeux de tou-te-s, la maladie de la honte : virus des prostituées, des homosexuel-le-s et des drogué-e-s. Elle fait le récit d’une vie de traitements, une vie de crainte aussi, pour sa vie et pour celle des autres, surtout sa fille, qu’elle a conçue quelques années après la détection du virus, sans accompagnement médical ni soutien familial hormis celui de son compagnon de l’époque. À son attentive et très délicate interlocutrice, elle raconte le rejet de sa mère, les maltraitances du milieu médical et surtout, le poids du silence, d’une vie passée à taire sa maladie auprès de tou-te-s par peur de perpétuer le cycle de violence et de honte commencé avec sa mère.

 

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Image de une : Portrait de Robert Mapplethorpe et Patti Smith, début des années 1960. © Mr Ziff