Le 19 juin 2019, Cielle et Jessica ont rencontré sept lectrices de Deuxième Page pour discuter de Beauté fatale, l’essai de Mona Chollet sélectionné pour la deuxième édition de notre club de lecture. Ce fut une soirée culturelle enrichissante et féministe, pour notre plus grand plaisir. Qu’ont pensé les participantes de cet ouvrage ? Qu’ont-elles appris et retenu de leur lecture ? Certaines choses leur ont-elles déplu ? Cielle te résume ici leurs échanges.

 

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Beauté fatale s’intéresse aux injonctions à la beauté (physique, évidemment) qui pèsent sur les femmes. Pour être belles, et donc acceptées, celles-ci doivent être minces, blanches, jeunes et répondre aux codes de la féminité établis socialement. C’est ce que nous répètent depuis l’enfance les magazines, les œuvres culturelles, les entreprises de la mode et de la beauté, la publicité… Ce matraquage est à la fois une cause et un effet du sexisme de notre société. Mona Chollet décortique les messages contradictoires qui nous sont envoyés et qui nous maintiennent dans la haine de nos corps.

Lors de notre rencontre, nous avons à notre tour décortiqué son ouvrage. En dépit de nos différences d’origines, de cultures, de parcours de vies et de relations à notre corps, et malgré quelques divergences d’interprétation, nous sommes toutes les neuf ressorties de notre lecture un peu plus apaisées, un peu moins enclines à nous juger, et armées d’outils pour comprendre les injonctions et, peut-être, déconstruire les normes imposées. Qu’est-ce qui explique cette unanimité ?

 

Un essai facile à lire et cynique…

L’une des forces de Beauté fatale est son accessibilité. Le style d’écriture y est fluide et agréable, ce qui rend la lecture facile, même à qui n’est pas habitué-e aux essais. L’ouvrage se lit à la manière d’un roman : l’autrice nous raconte une histoire – le fil de sa pensée – et nous la suivons tout au long de son récit. Elle agrémente ses réflexions d’exemples concrets, issues de la vie quotidienne (de magazines, de publicités) et de la pop culture (de séries télévisées, notamment). Mais elle n’oublie pas non plus de citer des théoriciennes féministes, en expliquant de façon simple certains concepts.

Beauté fatale est donc également accessible à des personnes peu sensibilisées au féminisme ou aux questions relatives aux normes de beauté et aux injonctions. De notre point de vue, c’est une bonne porte d’entrée vers des notions plus complexes.

Mais cela n’empêche pas que des féministes aguerries puissent trouver un intérêt à cette lecture. D’une part, elle comporte beaucoup de références utiles. C’est extrêmement sourcé, ce qui invite à approfondir les différents sujets. D’autre part, sans être très énervé, l’essai est tout de même rempli d’une certaine colère, que nous avons nous-mêmes éprouvée. Loin de simplement faire des constats, il diffuse des émotions. La colère, donc, mais aussi le cynisme, qui est assez présent dans les différents chapitres. Ce choix de ton plaît à la plupart d’entre nous, qui y trouvons une sorte d’exutoire. Face à la description d’un système contraignant qui nous entrave, l’usage du cynisme représente une bouffée d’air frais.

S’agissant de la narration de Beauté fatale, le seul reproche que nous pouvons faire est la qualité de sa structure. Il n’est pas toujours évident de comprendre l’enchaînement des parties et des idées : c’est comme si l’autrice avait mis sur le papier ses pensées, au fur et à mesure qu’elles lui venaient, sans établir un plan précis. Heureusement, cela ne dessert pas le contenu.

 

…pour analyser le système normatif de beauté

C’est un contenu riche et dense que nous propose Mona Chollet. Elle réalise un panorama de nos sociétés occidentales dans lesquelles les femmes sont tenues d’être jolies pour être acceptées. Elles doivent également être minces, jeunes et blanches. Elles ne doivent surtout pas prendre trop de place. Ces injonctions ont des impacts variés sur nos existences, mais peuvent entraîner des troubles alimentaires, la volonté de disparaître physiquement, voire le suicide. On enjoint les femmes à avoir un corps qui n’existe pas dans la réalité. Les modèles qu’on nous vend ne sont pas seulement inatteignables, ils sont faux. Mais quand on les expose aux femmes depuis leur petite enfance comme l’exemple de ce qu’il faut être pour réussir sa vie, qui peut s’étonner qu’elles cherchent à s’y conformer ?

Quoi qu’elles fassent, les femmes seront méprisées. Si elles essaient de répondre aux normes imposées, elles seront considérées comme superficielles. Si elles s’en détachent, elles seront considérées comme des sous-personnes. Ce mépris généralisé est le reflet d’une haine des femmes. On considère que ce qui est admirable, c’est l’homme : son corps et son esprit représentent la norme, les sujets intellectuels (et valorisés) sont entre leurs mains. Tandis qu’en face, on relègue les femmes aux émotions – moins bien considérées – et leurs centres d’intérêt, qui sont le fruit d’une construction sociale, sont dévalorisés.

Certaines d’entre nous relèvent d’ailleurs dans certains passages de l’ouvrage des pointes de mépris, par exemple lorsque Chollet parle d’« otaries » ou de « portemanteaux » pour désigner des femmes qui sont elles-mêmes victimes du système qu’elle veut dénoncer. C’est assez paradoxal, mais cela peut peut-être s’expliquer par un mépris intégré par l’autrice laquelle, en tant que journaliste, a évolué dans un milieu très masculin.

On élève de toute manière les filles pour qu’elles soient aimées par les autres, les hommes notamment. On ne leur apprend pas à s’aimer elles-mêmes. Elles doivent s’adapter à ce qu’on attend d’elles. Mona Chollet donne d’ailleurs l’exemple de la sociologue et féministe marocaine Fatima Mernissi qui découvre en arrivant à New York que les femmes doivent s’adapter aux habits (dans les magasins de vêtements où les tailles sont définies et dans lesquelles il faut rentrer coûte que coûte), alors qu’au Maroc, ce sont les habits qui s’adaptent aux femmes (grâce aux vêtements faits sur mesure). Cette différence de point de vue est particulièrement révélatrice. En Occident, l’industrie de la mode et de la beauté crée les normes auxquelles nous devons nous soumettre. Et dans ce domaine, comme dans beaucoup, ce sont des hommes qui occupent les postes de décision et de création.

Pour expliquer cela, l’essayiste prend pour exemples les actrices et les mannequins. Elle ne va pas jusqu’à parler des femmes ordinaires, comme nous. En lisant Beauté fatale, on comprend ce qui pèse sur ces femmes dont le métier est d’être belles. On aurait bien aimé aller plus loin, même si cela aurait sûrement conduit à doubler le volume du livre.

Chollet met bien en avant l’hypocrisie des magazines féminins, que nous avons toutes un jour ou l’autre lus ou feuilletés. Elle souligne que ceux-ci, d’une part, nous incitent à faire des régimes, à acheter des produits de beauté, voire à passer sous le bistouri et, d’autre part, critiquent les femmes connues qui se soumettent à ces injonctions. Il y a clairement un paradoxe qui nous culpabilise et nous met dans la situation délicate de devoir être belles sans avoir l’air de faire les efforts pour. Comme si la beauté – normée – était l’un des attributs naturels des femmes.

Mona Chollet montre d’ailleurs qu’on renvoie toujours les femmes à leur physique. Le reste de leurs intérêts, leurs opinions et leurs modes de vie ne sont que secondaires. La société cherche ainsi à les contrôler, à les contraindre physiquement (par exemple, avec les jupes serrées et les talons), mais aussi psychologiquement, en leur apprenant qu’elles doivent obtenir la validation du regard masculin et que c’est ce qui les rendra heureuses.

Pour aller au-delà de ces constats, il est plus que nécessaire de (re)valoriser ce que l’on associe socialement aux femmes et qui est donc un sous-sujet, sauf lorsqu’il est exercé professionnellement par des hommes (on pense à la couture ou à la cuisine). De montrer qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’être une femme. Et d’arrêter de voir les femmes en tant qu’objets et leurs corps comme des produits. Malheureusement, seuls, les constats et analyses de Mona Chollet ne nous donnent pas de vrais outils pour lutter. Beauté fatale nous propose simplement – et c’est déjà beaucoup – une base de réflexions. Et celles-ci s’adressent à l’ensemble des femmes, quelles que soient leurs origines. Sans parler d’intersectionnalité, Chollet évoque les problématiques raciales et ne nie pas le fait que pour les femmes racisées, les normes ont un poids bien plus lourd. Cela leur permet de pouvoir se reconnaître dans la lecture de Beauté fatale, et c’est essentiel.

Il faut quand même noter que l’essai date de 2012 et que les questions féministes sont plus poussées désormais. Il y a des sujets dont on parle beaucoup plus, du moins dans les cercles militants, comme l’intersectionnalité justement, mais aussi la transidentité par exemple. Vu les essais récents de Mona Chollet, il nous semble qu’écrit aujourd’hui, Beauté fatale contiendrait un contenu plus approfondi et plus large. Ce n’est pas une raison pour ne pas le lire, mais il faut prendre en compte qu’il a déjà sept ans et que notre militantisme a évolué.

 

tl;dr : un essai accessible qui décomplexe

En raison de son accessibilité et de l’ensemble des problématiques traitées, Beauté fatale est une bonne lecture lorsqu’on commence à s’intéresser aux enjeux féministes. Sous prétexte de parler de la beauté, il aborde des questions qui vont bien au-delà : le mépris et la haine des femmes, les manœuvres de coercition et de contrôle des corps et des esprits féminins, l’éducation des jeunes filles, etc. Ce faisant, il pose des bases de réflexions et d’analyses larges et complètes.

Chollet nous invite à prendre conscience collectivement des fondements de notre société normative et de ses implications dans notre vie. Cela peut peut-être nous amener à changer nos regards et à construire d’autres modèles.

À titre individuel, elle nous donne l’occasion de nous interroger sur nos propres façons de faire et d’être. L’essai se termine par cette phrase : « Non, décidément, “il n’y a pas de mal à vouloir être belle” . Mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être. » Et ce sont les deux possibilités que nous avons retenues. Après leur lecture, certaines d’entre nous ont décidé de lâcher prise sur l’apparence : pas besoin de s’apprêter, de faire attention à son look… Et d’autres ont enfin arrêté de se sentir coupables d’aimer se maquiller et bien s’habiller et ont compris que ça ne remettait pas du tout en question leur féminisme.

Cela sonne certainement comme une évidence, surtout lorsqu’on est féministe. Mais il faut bien admettre que la beauté est un sujet personnel et intime, qui nous touche parfois plus profondément qu’on le voudrait et à propos duquel il peut être difficile d’être rationnelles. Et Beauté fatale réussit l’exploit de nous permettre de nous comprendre, nous-mêmes, mais aussi les autres, et de nous déconstruire.

Mais ce n’est qu’un début. Et celles qui l’ont lu considèrent que Sorcières est une sorte de suite, qui approfondit des thématiques effleurées dans Beauté fatale, et qu’il est mieux construit et plus abouti. D’une certaine manière, Beauté fatale liste ce qui ne va pas et Sorcières propose des solutions concrètes.

 

Les recommandations culturelles du club de lecture

Parce qu’on aime partager, voici tout ce qu’on s’est conseillé pendant notre rencontre. Des œuvres et activités à découvrir dès que possible.

Essais

  • Histoire de la sorcellerie, Colette Arnould, Tallandier, 2009
  • Féminisme pour les 99 %, Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser
  • Sex and the series, Iris Brey, Libellus, 2016
  • Sorcières, Mona Chollet, La Découverte, 2018
  • King Kong Théorie,Virginie Despentes, Grasset, 2006
  • L’amour sous algorithme, Judith Duportail, Goutte d’or, 2019
  • Sexpowerment, Camille Emmanuelle, Anne Carrière, 2016
  • Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, Camille Emmanuelle, Les Échappées, 2017
  • On ne naît pas soumise, on le devient, Manon Garcia, Flammarion, 2018
  • Reflets dans un œil d’homme, Nancy Huston, Actes sud, 2012
  • Femmes qui courent avec les loups, Clarissa Pinkola-Estés, Grasset, 1996
  • Ma vie sur la route, Gloria Steinem, Harper Collins, 2019
  • Shrill: Notes from a loud woman, Lindy West, Hachette, 2016 (en anglais uniquement)
  • Non, c’est non, Irene Zeilinger, La Découverte, 2008

Album jeunesse et bande dessinée

  • Cher corps, je t’aime, Jessica Sanders, Carol Rossetti, Crackboom, 2019
  • Un autre regard, tomes 1, 2 et 3, Emma, Florent Massot, 2017 et 2018

Podcasts

  • Les couilles sur la table, animé par Victoire Tuaillon un jeudi sur deux, le podcast explore les masculinités contemporaines aux côtés d’un-e invité-e.
  • Miroir Miroir, animé par Jennifer Padjemi, un mardi sur deux le podcast explore des sujets variés autour des représentations et des normes avec des invité-e-s varié-e-s, spécialistes et artistes.

Séries

Événement

Bonus autodéfense féministe

  • Loreleï, association d’autodéfense et de lutte contre le sexisme